En tentant de sauver sa femme, violée et asphyxiée dans leur propre salle de bain en plein milieu de la nuit, Leonard Shelby (Guy Pearce) reçoit un coup à la tête et perd sa capacité à utiliser sa mémoire à court terme. Désormais, toute nouvelle information s'efface de sa mémoire au bout de quelques instants ; il n'a donc aucun nouveau souvenir durable depuis l'agression. Pour se rappeler les faits et informations élémentaires, il se les tatoue (ou les fait tatouer) sur le corps, ou bien les photographie à l'aide d'un appareil photographique instantané et en écrit une brève description sur les clichés : le nom du motel où il loge, la plaque d'immatriculation d'une voiture, le nom et prénom des personnes qu'il rencontre et leurs caractéristiques, etc. Le dernier souvenir de Leonard est celui de sa femme au moment de l'agression. Son seul objectif est de trouver l'assassin de celle-ci – un certain John G. – et de le tuer.
Le film est volontairement monté à l’envers : il s'ouvre avec la fin de l'histoire, la dernière scène, puis le film progresse, de la fin vers le début, la fin d'une scène recouvrant à chaque fois le début de la scène précédente (précédente dans l'ordre du film, mais en réalité suivante par ordre chronologique). Une narration parallèle est introduite sous forme de courtes scènes tournées en noir et blanc (suivant cette fois un déroulement chronologique normal, de A à B etc.) intercalées au montage antichronologique. Ainsi, les scènes couleurs antichronologiques s'emboîtent aux scènes noir et blanc chronologiques. Les deux narrations se raccordent à la fin du film, qui correspond au milieu de l'histoire. Le passage du noir et blanc à la couleur se fait lors du développement d'une photo polaroid.
Les scènes en couleur correspondent à la durée maximale de rétention mémorielle de Leonard. Ainsi, à chaque nouvelle scène couleur, Leonard ne se rappelle plus les événements qui ont précédé la scène dont il se souvient. Puisque les scènes couleurs sont en ordre antichronologique, le spectateur, tout comme Leonard, ne connaît pas non plus les événements qui ont précédé.
Memento est un des films les plus déconcertants que je connaisse. Dans mon classement personnel, il le place juste, pour la complexité, entre Vanillia sky (de Cameron Crowe) et Existenz (de David Cronenberg).
Cela donne un thriller terrifiant qui s'apparente à une espèce de cauchemar sans fin où l'on revient sans cesse sur la même scène en se trouvant englué peu plus chaque fois dans l’incapacité d'agir.
Lorsque le film commence, on pense que Leonard est forcément innocent du crime de sa femme. Lorsqu'il se termine, on n'en est plus sûr du tout et même, on se demande si ce n'est pas lui, l'auteur de ce crime abominable dont sa mémoire aurait effacé le souvenir traumatique.
Comme pour les films cités, cela laisse au spectateur une impression désagréable comme laisserait un mauvais rêve. Si Leonard est innocent, on le plaint, d'une part d'avoir perdu sa femme dans un crime aussi révoltant et inexplicable. S'il est coupable, on le plaint aussi d'être victime de cette forme d'amnésie terrible qui lui fait oublier qu'il est coupable...
Pour toutes ces raisons, Memento est un film inclassable, entre fantastique et thriller et c'est en soi un "ovni" dans la technique utilisée par le réalisateur dont c'était seulement le 2ème long métrage... Distingué par deux nominations aux Oscars (meilleur montage et meilleur scénario original), il est devenu un "film culte" pour les cinéphiles. Il permettra en outre au réalisateur d'entreprendre de réaliser des projets plus ambitieux comme Insomnia, produit par Steven Soderbergh, avec George Clooney comme acteur principal. Depuis, Nolan a réalisé sept autres films (dont l'excellent Batman begins et The dark Knight et, plus récemment, Inception, où l’on retrouve la complexité de Memento mais dans lequel malheureusement, la notoriété aidant, il a à mon avis beaucoup trop abusé des effets spéciaux).