Leonard Shelby, en noir et blanc et voix off, dans sa chambre de motel.
Leonard Shelby, en couleurs, sortant d'un motel et partant avec Teddy dans une maison isolée où le premier va abattre le second.
Pourquoi ? Parce que c'était marqué sur un polaroid.
D'ailleurs, on se rend vite compte que Leonard suit avec attention et précision les instructions marquées au feutre noir sur ses polaroids.
Et les instructions marquées sur son corps, tatouées sur ses bras, son torse, ses jambes, etc.
Leonard Shelby est un véritable livre, relié en peau.
Il a besoin de voir tout cela.
Parce qu'il a une vengeance à accomplir.
Et que, toutes les cinq minutes, il l'oublie.
Suite à un traumatisme, Shelby perd sa mémoire immédiate. Il le dit lui-même lorsqu'il parle avec le gérant du motel : "si cette conversation dure trop longtemps, je ne saurai plus comment elle a débuté". Et comme Leonard Shelby est parti dans une quête meurtrière pour retrouver l'assassin de sa femme, il a besoin de mémoire. Ne pouvant la trouver dans sa tête, il l’étale sur son corps.
Memento est le deuxième long métrage de Christopher Nolan. Le film est basé sur deux principes : l'amnésie récurrente du personnage, et une audacieuse construction à l'envers.
Car Memento est construit en une succession de séquences d'environ cinq minutes qui sont montées à l'envers. On commence par la fin, puis les cinq minutes précédentes, et ainsi de suite, et on termine par le début.
Une construction originale en apparence, certes, et qui nécessite un certain temps d'adaptation. Mais on s'y fait assez vite et, finalement, on retrouve les codes habituels du genre. Par exemple, les vingt premières minutes sont consacrées à des bavardages assez chiants pour présenter la situation du personnage principal. Donc, finalement, l'intérêt majeur du film n'est pas ici.
Ou, pour être plus précis, si le film s'était limité à la simple exploitation d'une telle idée, il aurait tourné court assez vite. Mais le scénario va jouer sur les potentialités offertes par l'amnésie du personnage. Au lieu de faire comme dans les films normaux sur l'amnésie (j'enquête pour savoir qui je suis, d'où je viens, etc), Nolan va jouer sur les zones d'ombre cachées dans le passé immédiat de Shelby. Il crée des certitudes pour mieux pouvoir nous en faire douter. Rien n'est certain, donc tout est douteux, à commencer par les personnages. Natalie : alliée ou manipulatrice ? Ou les deux ?
Ce qui était une certitude lors d'une séquence est entièrement démonté lors de la séquence suivante (qui, en fait, se déroule juste avant : vous avez suivi ?). Le spectateur est donc mis dans une situation où il doute complètement de tout ce qui arrive. même les polaroids cachent de potentiels mensonges, puisqu'une image dépend de son interprétation (très DePalma, comme thématique).
Memento, plus qu'un film sur la mémoire, est donc un film sur la manipulation. Nombreux sont ceux qui jouent sur l'infirmité de Shelby pour lui faire croire et avaler tout et n'importe quoi, depuis le gérant qui lui fait payer deux chambres (parce que Shelby a oublié en avoir déjà pris une) jusqu'à d'autres cas plus graves (que je tairai ici pour des raisons évidentes).
La construction à rebours n'est donc pas une simple technique narrative gratuite, elle participe pleinement du suspense et contient tout un enjeu scénaristique. Nous avons d'abord les effets, et Nolan nous surprend en nous montrant que la cause est différente de ce que l'on aurait cru.
La réalisation est correcte mais sans faire d'étincelles non plus. Le début est assez bavard et on insiste parfois trop sur l'infirmité du personnage (voir cette histoire Sammy jankins, qui n'a pas d'autre intérêt que de faire du remplissage). Heureusement, le rythme s'accélère et les séquence se raccourcissent, donnant une impulsion plus nerveuse vers le milieu du film.
[la réflexion centrale est quand même passionnante : un homme sans mémoire est facilement manipulable. Un peuple sans mémoire est facilement manipulable. ça fait 40 ans que notre politique éducative est basée sur ce principe]