Tout d'abord je tiens à signaler que ce film est depuis peu disponible en HD sur youtube et à dire bravo à la personne qui a scanné et restauré ce film, c'est nickel.
Bien étrange expérience que Memoria, film de série B espagnol réalisé par Francisco Macián, jusqu'ici spécialisé dans l'animation. Nous y suivons les pérégrinations mentales du professeur Ulop, éminent scientifique dont le travail a pour objectif ultime la transmission de la mémoire entre les êtres humains. Alors le truc semble pas très utile dit comme ça, mais globalement ils veulent créer une base de données des savoirs de l'humanité grâce à cette technique, une bonne idée de merde si vous voulez mon avis, mais le film est cool alors on va suspendre notre incrédulité calmement.
Le scénario n'importe en effet pas tant dans Memoria, c'est la créativité visuelle des images qui va nous transporter dans des contrées inexplorées, rien d'étonnant venant d'un film réalisé par un professionnel de l'animation. Dès son introduction hallucinée, le ton est donné, usant et abusant des effets négatifs (visiblement on appelle ça du M-Tecnofantasy et c'est Macián qui a créé cette technologie) et des arrières plans colorés, Macián nous transporte autre part, à la fois dans ce monde dystopique où tabac et alcools sont proscrits mais aussi dans l'esprit torturé de son protagoniste.
Le professeur Ulop sait transférer la mémoire, mais ses patients sombrent tous dans la folie en ne reconnaissant pas leurs reflets dans le miroir. Il souhaite donc utiliser une une drogue psychotrope pour compenser ce point négatif fort embêtant. La réticence des pouvoirs à vouloir utiliser cette drogue dans des expériences pour la simple raison que son usage récréatif est proscrit dans le monde du film rappelle, dans notre monde, cette même défiance qui a toujours pesé sur l'usage des psychotropes à but scientifique alors que leurs bienfaits ont pourtant été démontrés pour lutter contre la dépression ou l'alcoolisme, soulignant la bêtise des pouvoirs en place, aveuglés par un code moral les empêchant de prendre des décisions logiques.
Il est assez amusant de constater que cette méthode fonctionne parfaitement sur les animaux, qui eux, ne ressentent aucunement le besoin d'admirer constamment leur reflet. La conscience de soi comme distinction entre l'homme et l'animal est un élément central du film, les inserts sur les animaux du laboratoire pullulent, comme un contrepied à l'image du docteur Ulop, dont les névroses ne sont que trop humaines. Ce personnage s'avère finalement plutôt complexe, apportant une profondeur bienvenue au film et lui permettent d'aborder les thématiques de la création, de l'éthique et du désir, mais créant parfois des moments de parlotte un tantinet longuets. La force de Memoria résidant principalement dans l'ambiance inquiétante et cathartique créée à grand renfort d'images originales et remarquables enveloppant l'histoire d'un voile psychédélique tout à fait saisissant. Le tout culminant dans un final à déconseiller aux épileptiques, lorsque le professeur Ulop achève sa descente aux enfers dans un dernier accès de folie le poussant à l'auto-destruction :
Alors qu'il vient de se donner la mort en se cramant le crâne, son assistant, afin de ne pas perdre son savoir, va transférer sa mémoire dans le corps d'un patient en paralysie cérébrale. Une fois la chose faite, il en deviendra d'autant plus déséquilibré et cédera à la frustration et au désir de posséder la femme de son auxiliaire. Après ça part pas mal en couille, il s'attaque à des moines ayant visiblement fait voeu de silence et d'homosexualité avant que le film ne finisse sur un gros "Boum", nous rappelant surement que le savoir peu parfois mener à la destruction.
Memoria est un film artisanal mais non dénué de charme, si la construction de son monde dystopique est assez poussive (mis à part une scène étonnamment prophétique de notre époque avec un type qui regarde du contenu débile sur un téléphone portatif alors qu'il est au travail) et sa situation de départ un peu ridicule, en décidant de plonger dans la folie de son protagoniste, il prend une direction le rapprochant plus de Black Swan ou du Voyeur que de 2001. Le tout étant illustré de visions psychédéliques jouant sans arrêt sur les couleurs et les textures évoquant celles d'Altered States (sans toutefois être aussi magistrales) pour créer une pure expérience hallucinée pour le spectateur.