1986 : une série de meurtres, dix exactement, perpétrés, selon un même mode opératoire, sur des femmes de quatorze à soixante et onze ans, traumatise une paisible province rurale de Corée du Sud.
2003 : Bong Joon-Ho sort son deuxième long-métrage, « Memories of murder ». Dix-sept ans après leur déroulement, il se penche, par la fiction, sur ces faits, rejouant en quelque sorte l’enquête à travers les deux inspecteurs - l’un local, l’autre mandé de Séoul - qui avaient été chargés de démêler les fils de cette affaire essentiellement nocturne. Naissait ainsi un polar crépusculaire, fascinant, dans lequel les ténèbres allaient en s’épaississant, jusque dans le cerveau des enquêteurs réduits à l’impuissance.
2017 : Quinze ans plus tard, à l’occasion de la reprise en salle, en version restaurée, du chef-d’œuvre de Bong Joon-Ho, puis de son édition, en 2018, dans un coffret collector, un documentaire, inclus dans le coffret, est tourné par Jésus Castro : « Memories, retour sur les lieux des crimes ». Dans cette Corée lancée à pleine vitesse vers le futur, le réalisateur de « Memories of murder », ses principaux collaborateurs et ses acteurs, depuis devenus stars nationales, consentent à se retourner vers leur passé et vers ces moments de tournage et de cinéma qui ont marqué, pour beaucoup, le début d’une carrière.
Initialement prévu pour rester centré sur le personnage clé de Bong Joon-Ho, le filmage a dû se reconvertir in extremis, devant l’indisponibilité relative du réalisateur. En contrepartie, l’équipe légère qui s’était rendue en Corée du Sud pour la circonstance s’est vu offrir l’accès à toute une série d’interviews imprévues, notamment auprès des acteurs principaux, devenus, depuis lors, difficilement accessibles. En dépit du tour potentiellement nostalgique de l’entreprise, Song Kang-Ho (qui jouait le détective Park Doo-Man) et Kim Sang Kyung (qui incarnait le détective Seo Tae-Yoon) évoquent leur participation au projet avec aisance et humour.
Le montage, ramené vers le passé par la musique du film de 2003, entrecroise habilement images du film initial, prises de vue du tournage d’alors, prises de vue contemporaines et moments d’interviews. Le rythme est à la fois grave et léger, adoptant la fluidité du souvenir et des associations qui s’offrent à lui, si bien que le documentaire est à la fois riche d’informations, d’anecdotes de tournage souvent jubilatoires, de regards rétrospectifs, et jamais didactique pour autant.
Jésus Castro peut légitimement éprouver la fierté d’avoir ramené vers la lumière un film de 2003, certes encensé mais trop souvent considéré comme appartenant au passé. Jouant même du caractère irrésolu de l’intrigue policière qui s’était vue mise en scène, Jésus Castro souligne la singulière actualité de cette affaire, tout en accordant le mot de la fin à Bong Joon-Ho, qui insiste, pour sa part, sur le chemin parcouru par son pays depuis les années 80 et sur la rassurante sortie des ténèbres qui s’est, depuis lors, produite.