[Attention spoilers]
Le cinéma coréen est une découverte très récente pour moi, puisqu'elle date de cette année. Je la dois notamment à mes éclaireurs qui sont su m'orienter correctement sur les pépites issues de ce pays. Je suis immédiatement tombé sous le charme des films de la nouvelle vague coréenne, qui me font regretter de ne pas m'être penché sur cette catégorie d'oeuvres plus tôt. Sur tous les films coréens que j'ai vus (une bonne quinzaine), il n'y en a pas un seul que je n'ai pas aimé. Et parmi les réalisateurs coréens que j'admire désormais, Bong Joon ho est celui que je préfère. J'ai eu la chance de revoir hier soir Memories of Murder à l'occasion de sa ressortie en salles, et je dois dire que j'en suis encore tout chamboulé. Memories of Murder est mon film favori du cinéaste, et je vais tenter de vous expliquer en quoi c'est un chef d'oeuvre du genre policier, et pourquoi il me plait autant.
Bong Joon ho est connu pour être un réalisateur qui aime mélanger les genres : ainsi, Okja mêlait le fantastique et l'action, tout en comportant une forte dose d'humour, The Host était à la fois un thriller et un film d'horreur, non dénué d'humour également. Memories of Murder, réalisé antérieurement, est sûrement son oeuvre qui symbolise le mieux sa capacité à engendrer diverses palettes d'émotions chez le spectateur au sein d'un même film. Ce qui saute aux yeux dans Memories of Murder, c'est son humour très présent alors qu'il parle d'un sujet extrêmement grave.
Pour rappeler brièvement l'histoire, le film se passe dans une petite ville de Corée du Sud située en pleine campagne. Cette ville va alors connaître une série de meurtres perpétrés contre des jeunes femmes, toutes vêtues de rouge (du moins dans un premier temps) et tuées à chaque fois un jour de pluie. Deux inspecteurs de police vont être alors chargés d'enquêter, l'un étant un homme du cru qui a toujours vécu dans cette ville (Park Doo-man), et l'autre débarquant de Séoul (Seo Tae-yoon). Ils vont avoir des méthodes radicalement différentes pour arriver à leurs fins, et cela va susciter de nombreux conflits entre eux, voire des bagarres. Et ce, d'autant plus, que la liste des victimes s'allonge au fur et à mesure de l'enquête.
J'évoquais l'humour, et justement la rencontre entre ces deux hommes est loin d'en être dénuée, puisqu'au début du film, Seo Tae-yoon va être confondu avec un violeur par Park Doo-man lorsque le premier demande son chemin à une fille, au point de le frapper et le menotter.
- Je pensais qu'un policer devait savoir se battre.
- Je pensais qu'un policier devait savoir reconnaître ses collègues.
L'humour sera savamment distillé tout au long du film, du moins dans sa première partie, puisque plus le film avance, plus il s'assombrit. Cet humour fait vraiment de Memories of Murder une oeuvre originale, qui change des thrillers habituels qui n'en sont pas du tout dotés, et c'est fortement appréciable. Le moment où Park estime que le tueur doit être dépourvu de poils pubiens puisqu'aucun n'a été retrouvé sur les corps des victimes, et qu'il se rend du coup dans les saunas de la ville pour essayer de débusquer le tueur est ainsi hilarant.
Cela montre à quel point les policiers sont totalement désespérés et désemparés devant ces meurtres à répétition et qu'ils ne savent absolument pas quoi faire pour les résoudre. Mais ceci est juste le reflet de la réalité puisque Memories of Murder est inspiré d'une histoire vraie et que plus de 3000 suspects ont été interrogés sans qu'on ne retrouve jamais l'auteur de ces meurtres. Ainsi, le passage du film où Park consulte une chamane pour qu'elle lui donne des pistes sur le tueur est entièrement vrai.
La progression du film est en soi très intéressante, car chaque avancée de la police nous fait croire qu'ils sont sur la bonne piste et que l'enquête progresse petit à petit. La trame est d'une intelligence rare, dans la mesure où à chaque fois qu'on croit qu'on va toucher de près la vérité, il y a un événement qui vient s'opposer à cela au dernier moment. Je pense notamment au moment où Park se rend compte que Baek Kwang-ho, l'handicapé mental qu'ils avaient suspecté au début, est la seule personne encore en vie qui a vu le visage du tueur, mais celui-ci meurt juste après renversé par un train sans qu'il n'ait eu le temps de dire si oui ou non le visage d'un suspect qu'on lui montre est le bon. Ainsi, on se rend compte à la fin qu'ils pédalaient dans la semoule et qu'aucun des suspects parmi les nombreux interrogés n'est coupable. La fin est terrible, lorsque les deux policiers reçoivent enfin les résultats du test ADN des Etats-Unis qui infirme le fait que le dernier suspect du film est le tueur. La musique et la pluie battante rendent ce moment particulièrement émouvant, quand on se rend compte du "tout ça pour ça".
La scène finale, celle se déroulant presque 20 ans après les événements relatés dans le film, est très saisissante. Lorsque Park revient sur les lieux du premier crime, il tombe sur une fillette qui lui dit qu'un homme était là il y a quelques instants et qu'il lui a dit qu'il était là pour se rappeler de choses qu'il avait commises ici par le passé. Le visage de Park s'illumine alors et il croit qu'il va enfin retrouver le coupable, alors qu'il avait tiré un trait sur son ancienne vie de policier et sur cette affaire. Il demande donc à la fille comment est son visage. Celle-ci lui répond : "Il avait un visage ordinaire". "Un visage juste ordinaire." Le dernier plan filme Park qui regarde la caméra totalement désemparé, ce plan est magnifique je trouve.
Le mal a donc un visage, mais ce visage est ordinaire : cela montre que le mal peut être partout, et qu'il peut frapper à n'importe quel moment et n'importe quel endroit, sans qu'on ne parvienne à l'identifier. Le message du film est donc très fort et très nihiliste.
Il est d'ailleurs intéressant de remarquer que la scène d'introduction, qui se déroule sur les lieux du crime et la dernière qui se situe au même endroit, se font échos et se répondent en miroir. Dans les deux scènes, le policier est accompagné d'enfants, qui prennent ça comme un jeu et représentent l'innocence.
Pour revenir rapidement sur les aspects techniques, la réalisation, sans être incroyable, est très soignée et fait totalement le job. La photographie est superbe, il y a de très beaux plans larges sur les champs de blés, ce qu'on retrouvera plus tard dans Mother. Bong Joon ho est très talentueux pour filmer la campagne coréenne. Les acteurs sont tous excellents, même les secondaires. La musique apporte une vraie touche d'émotions aux moments opportuns, même si elle n'est pas forcément très présente.
En bref, je ne vois pas trop ce qu'on pourrait reprocher à ce film, pour moi c'est un chef d'oeuvre, et je ne me lasserai jamais de le revoir. C'est un thriller innovant pour lequel Bong Joon ho a véritablement apporté sa patte de cinéaste très talentueux (et ce n'était que son deuxième film !). La morale du film est très forte et bien que le film s'achève sans qu'on ait de réponses, je ne trouve pas la fin frustrante, bien au contraire, pour moi c'était la meilleure manière de finir ce film car les deux dernières scènes sont tout simplement brillantes. Si vous ne savez pas par où commencer dans le cinéma coréen, c'est vers ce film et Old Boy qu'il faut se tourner.