Je ne sais pas pourquoi, le cinéma asiatique m'a toujours laissé froid (1).
La preuve: côté nippon, je n'aime que Kurosawa et Miyazaki. Les chinois m'ennuient, les films HK me plongent dans une léthargie bienveillante, les arts martiaux m'excitent comme le ferait un balais érotique avec en première danseuse Sandrine Kimberlain ayant zappé sa séance d'épilation bi-annuelle, les mangas me donnent envie de visiter la Russie, l'empire des sens m'a fait durablement douter de ma masculinité, et le Viet-Nam n'évoque pour moi que des films qui ont rendu très malheureux/estropiés/fous mes acteurs préférés.


Et puis voilà que je me prend d'affection forte pour le cinéma Coréen.
Il y a d'abord eu Old boy. Puis The Chaser, ou Blood Island.
Et là, je sais pas pourquoi, ça m'a instinctivement touché, parlé (OK, j'ai détesté "j'ai rencontré le diable", mais on va pas non plus en faire une règle).
Comme si le cinéma coréen était le plus européen des cinémas asiatiques.


En fait, même la calligraphie coréenne est fun, avec tous ces petits ronds, la rendant reconnaissable entre toutes. Une véritable corée-gie picturale.


Dans la série de films évoquée plus haut, s'impose également The Host. Au delà du film de genre, des tonnes de détails captivants. Un ton rare. Un style, un regard.


Voilà, nous pouvons en venir à notre Bong Joon-ho.
Le gars fait partie des grands. Catégorie "monde".


Une preuve ? Memories of murder.
Le côté imparable du polar, de ses ramifications, de sa formidable narration a été soulevé par tous ceux qui l'ont vu, je vous invite à lire ici et là les très bonnes critiques qui illustrent le film sur SC, pas la peine d'y revenir.


Non, ce qui m'a subjugué, moi, au delà de ses qualités évidentes, c'est la façon dont le film tire un portrait saisissant du pays au milieu des années 80.
D'abord, j'ai ri devant ces policiers ruraux lourdauds, aux méthodes expéditives et violentes, voulant sans vergogne coffrer leur suspect - n'importe lequel- dans les plus brefs délais. J'ai d'abord cru que l'arrivée du policier de la ville ne faisait que mettre en exergue les différences entre les bouseux et les modernes.
Mais c'était avant de comprendre que le film montrait un pays en pleine transformation. En 86, le pays vit une transition démocratique, et tabasser un suspect fait encore partie de la routine du flic. La preuve, une fois la sale besogne accomplie, ces derniers peuvent tranquillement partager un plat de nouilles avec le présumé coupable, tuméfié. Qu'importe, d'ailleurs si ce dernier est l'idiot du village.
Pas étonnant, du coup, que Joon-Ho ait choisi cette période charnière pour cadre de son polar vicelard: comme presqu'aucun autre, il montre un pays écartelé entre ce qu'il a (trop) longtemps été et ce qu'il va (très) vite devenir.
Un coup de maître.


Une réalisation impeccable, une ambiance envoutante, un rythme parfait.
A l'image de cet autre "mother" (du même auteur) pétris de qualités, moi, des putains de films de ce calibre, j'en réclame à Corée à cris.


.


(1) attention, critique écrite en 2013. Depuis, l'eau (tiède) est passée sous les ponts (rouges), et, pour ne parler par exemple que de cinéma japonais, des gens comme Ozu, Kobayashi, Suzuki ou surtout Imamura sont devenus plusieurs de mes réalisateurs chéris

guyness

Écrit par

Critique lue 8.1K fois

171
21

D'autres avis sur Memories of Murder

Memories of Murder
Nushku
9

Thriller aigre-doux

Memories of Murder n'est pas monolithique. Il est certes en premier lieu un polar captivant au rythme parfaitement construit sur la traque d'un serial-killer mais il est aussi fait d'antagonismes...

le 4 mars 2011

220 j'aime

6

Memories of Murder
guyness
9

Corée graphique

Je ne sais pas pourquoi, le cinéma asiatique m'a toujours laissé froid (1). La preuve: côté nippon, je n'aime que Kurosawa et Miyazaki. Les chinois m'ennuient, les films HK me plongent dans une...

le 5 janv. 2013

171 j'aime

21

Memories of Murder
Gothic
10

Lettre triste

[SPOILER ALERT / ALERTE GACHAGE] Le détective Park Doo-Man me fait rire, il est si maladroit. Et puis il me peine, aussi. Etre désespéré d'attraper un homme au point de falsifier des preuves, de...

le 6 juil. 2014

146 j'aime

43

Du même critique

Django Unchained
guyness
8

Quentin, talent finaud

Tarantino est un cinéphile énigmatique. Considéré pour son amour du cinéma bis (ou de genre), le garçon se révèle être, au détours d'interviews dignes de ce nom, un véritable boulimique de tous les...

le 17 janv. 2013

343 j'aime

51

Les 8 Salopards
guyness
9

Classe de neige

Il n'est finalement pas étonnant que Tarantino ait demandé aux salles qui souhaitent diffuser son dernier film en avant-première des conditions que ses détracteurs pourraient considérer comme...

le 31 déc. 2015

318 j'aime

43

Interstellar
guyness
4

Tes désirs sont désordres

Christopher navigue un peu seul, loin au-dessus d’une marée basse qui, en se retirant, laisse la grise grève exposer les carcasses de vieux crabes comme Michael Bay ou les étoiles de mers mortes de...

le 12 nov. 2014

299 j'aime

141