Du film noir traditionnel, il ne reste au final, dans Memories of Murder, qu’un sujet ; un pessimisme ; et puis quelques codes déjoués, qui résonnent comme une moquerie, sardonique mais sotte.
Ses tristes héros, ripou empoté ou jeune premier, entrent dans une tragédie sans armes, dépouillés de tout ce que le film noir leur attribue, généralement, de romantique ; l’éternel cynisme ne leur offre pas sa distance comme refuge, l’expérience blasée ne les prépare pas, et les deux hommes embrassent tout entier la douleur d’une enquête qui les poursuivra à jamais.
Memories of Murder tire toute sa beauté de ce terrible déclin, depuis la naïveté des hommes, leur pureté bonhomme, même bête, même méchante, jusqu’à la cicatrice irrémédiable que le doute, l’impuissance — d’autant plus éreintante que sa résolution est proche — va laisser de profond.
La valeur toute subjective accordée à l’enquête — et sa résolution — est intensifiée par l’étroitesse du groupe qui se la partage. De même que le film, à travers sa société, dévalue l’importance de ces hommes, il dévalue l’importance de leur travail ; jamais des policiers n’ont eu si peu d’autorité, jamais de scènes de crimes n’ont été si peu respectées. Les enquêteurs, au-delà des difficultés inhérentes à l’investigation, doivent essuyer les bévues comiques d’une société insouciante, alors loin de leur accorder la cérémonieuse attention dont ils sont entourés aujourd’hui.
Mais les autres ne sont pas les seuls fautifs. La police elle-même est la première à sous-estimer l’enquête. Les hommes paieront aussi pour leur propre bêtise, et ils causeront leur plus importante perte : la mort de leur seul témoin. Son tortionnaire aura son sang sur les mains. Bong le filme littéralement.
Esseulés, dépassés, tant moralement que techniquement, les investigateurs se maintiennent à la surface grâce à plusieurs pistes amenés aux bons moments. La résolution de l’enquête se rapproche de minute en minute sans jamais être atteinte. Les hommes doivent lâcher prise et n’y arriveront jamais complètement : en témoigne la fin, magnifique et tragique coup du sort, qui malgré les années écoulées rappelle encore douloureusement à quel point ils étaient proche de la vérité.