Les robes suspendues
Sous influence directe du cinéma d’Ingmar Bergman, en ce qu’il cite presque au plan près Det sjunde inseglet sorti quatre ans auparavant – lorsque la célébration de la noce, dans l’auberge, est...
le 8 déc. 2024
Sous influence directe du cinéma d’Ingmar Bergman, en ce qu’il cite presque au plan près Det sjunde inseglet sorti quatre ans auparavant – lorsque la célébration de la noce, dans l’auberge, est interrompue par l’arrivée du religieux et donne lieu à un mouvement convergent en direction de la caméra –, Matka Joanna od aniolów déplace la réflexion suédoise sur la vanité pour interroger la dialectique de l’idéalisme et du matérialisme, se saisit d’une investigation pour semer le doute au sein des cœurs et des esprits. L’espace rural fait office d’abstraction où s’égarent des âmes en quête de réponses : deux femmes se situent de part et d’autre de l’échiquier, ancrée chacune dans un lieu qui la définit – le couvent pour la première, l’auberge pour la seconde – et soumises toutes les deux aux douleurs du sentiment amoureux. Une clôture religieuse, censée protéger la moniale de ses démons intérieurs, figure davantage leurs assauts répétés en lesquels se projette le père Joseph, symbole par le bois qui la compose de la couronne d’épines ou de tout autre accessoire destiné à la flagellation (comme le martinet). Aucune séparation ne prémunit cependant sœur Malgorzata des mensonges de son époux d’un soir, intéressé seulement par la chair, raccordant l’auberge à son statut d’itinérance et la terre polonaise à celle d’une terre de passage.
La rigueur de la mise en scène retranscrit l’ascèse qui régit l’existence des protagonistes principaux tout en restituant le profond malaise des possessions par une caméra mobile, épousant à merveille les déplacements interdits des sœurs – nous retiendrons à ce titre un travelling magnifique suivant mère Jeanne le long d’un mur alors que celle-ci fixe l’objectif de l’appareil, traduction du trouble semé chez le père et chez le spectateur. Les robes de lin tournoient, dessinent au sol des formes qui semblent dépourvues de corps, flottent au grenier en train de sécher : l’habit ne fait plus la moniale. La perte de repères de Joseph Surin compose une catabase avec, comme point culminant, la consultation d’un rabbin qui n’est autre que son double ! La clausule saisit intelligemment la cloche en contre-plongée comme symbole de la lutte infernale entre le Bien et le Mal, elle qui balance sans cesse entre « le blanc et le noir » (dixit un personnage), entre la lumière du jour et l’obscurité des passions humaines. Un grand film.
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le 8 déc. 2024
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