La fortune amassée par Les 101 Dalmatiens ne remet pas en question le faible nombre de projets en animation chez Walt Disney Productions. L'heure est aux innovations et la télévision, un des derniers médias à faire vivre les dessins faits à la main, est le meilleur remède à tous les maux de la compagnie. Plus éducatifs et visant une plus large audience, les programmes familiaux ont sûrement eu une influence, probablement indirecte, sur Merlin L'Enchanteur qui en partage le même ton moralisateur et la volonté d'instruire le public en l'amusant.
Conformément au roman The Sword in the Stone, le film de Wolfgang Reitherman propose une relecture décalée de la jeunesse du Roi Arthur bien qu'il refasse le fond du livre à sa sauce. Il refuse d'appeler Excalibur par son nom, ici simplement citée comme l'épée dans l'enclume, et reste extérieur au désordre géo-politique de l'Angleterre, privée d'un régime stable, pour plonger dans les bois et nous faire rencontrer notre guide grincheux.
Anticipant le Génie d'Aladdin, Merlin marque une semi-rupture avec les récits antérieurs de Disney, collectionnant les anachronismes et cassant durant quelques moments la noblesse jusque-là primordiale de leur filmographie. S'il se plaint du mode de vie rustique sous l'ère médiévale et peut voyager dans le temps à sa guise, le destin lui jouera plus tard un mauvais tour en lui interdisant le vol de sa maquette et ainsi la preuve de ses allégations à son entourage, l'obligeant à s'en tenir à son rôle sans essayer de trop basculer l'ordre des choses.
Le magicien justifie à lui seul le visionnage du long-métrage. Instructeur imparfait enseignant à son élève les valeurs essentielles à assimiler mais ne prévoyant jamais le contrecoup, le vieux barbu est absolument égayant et son assurance magnifiquement contrastée avec le pessimisme de son hibou Archimède, nous offrant de bons échanges comiques dont l'impayable fou rire de l'animal avant le troisième acte.
Mais avec Merlin L'Enchanteur débute une formule ne faisant pas l'unanimité, des histoires plus linéaires et moins structurées où la progression dramatique semble marginale. La recette sera ironiquement à l'origine des plus gros succès du studio tout en étant ici appropriée. Les 80 minutes sont purement pédagogiques et se prêtent à une ossature de ce type, apprenant des leçons basiques mais arrangées par leur regard gentiment moqueur et la place accordée à la débrouillardise plutôt qu'à la facilité.
L'autre grand intérêt du film réside dans sa bande-originale puisque Richard M. Sherman et Robert B. Sherman, jeunes talents prometteurs s'étant exprimés sur des productions Live telles que La Fiancée de Papa ou Les Enfants du Capitaine Grant, se lancent pour la toute première fois dans un musical animé. Leurs compositions, joliment rattachées aux mélodies de George Bruns, sont aussi agréables que mémorables, ajoutant un charme supplémentaire à l'oeuvre. Une porte s'ouvre pour les deux génies qui n'ont pas fini d'envoûter le monde du cinéma.
Même si correctement accueilli à sa sortie, Merlin L'Enchanteur ne déclenche pas d'euphorie. Lui sont reprochés son manque d'émotion (Walt Disney sera resté très distant de l'avancement du film) et l'impression d'un paquet cadeau négligemment emballé (une fin précipitée, des plans recyclés du cartoon The Truth About Mother Goose et de Bambi; trois acteurs différents pour doubler Moustique à cause de la puberté de Rickie Sorensen, provoquant un rendu audio extrêmement perturbant). Il a beau ne pas figurer dans le haut du panier, Merlin L'Enchanteur demeure un petit Disney suffisamment drôle et divertissant pour être vu et revu.