Petite récapitulation du contexte au Japon : en 1999, la réputation des studios Ghibli n’est plus à faire et le dernier né du studio Princesse Mononoké a enflammé les passions et le cœur des fans avec sa grande épopée fantastique et ses enjeux anti guerre et pro-écologique. Et ce n’est pas sa sortie en occident qui démontera la renommé et l’acclamation publique vis-à-vis du film a apporté un grand vent de renouveau sur la perception de l’animation japonaise, surtout quand on connait les scandales déclenché par certains politiciens dans les années 90 par rapport aux séries d’animation issues du pays du soleil levant.
Quel ne fut pas la surprise des nippons de découvrir que le dixième film de la compagnie était l’adaptation du manga tranche de vie d’Hisaichi Tshii, très loin de la grande ambition et de la noirceur dont faisait preuve le bijou du vieux Miyazaki !
Isao Takahata, contrairement à Miyazaki, a toujours davantage travaillé sur des projets plus proches de la réalité avec l’intention de la retranscrire et avec parfois une certaine froideur quand ça n'est pas de la dureté (l’intention est honorable, mais si vous avez lu mon avis sur Le tombeau des lucioles, vous savez que sa démarche ne m’a pas toujours convaincu) là ou Miyazaki se montre habituellement plus optimiste sans jamais se moquer de son public dans son cinéma.
C’est d’ailleurs la principale chose qui fait du bien avec Mes voisins les Yamadas : le changement d’approche complètement différent et bien plus relâché que l’ensemble des films habituels de Takahata (je ne compte pas Pompoko). Autant j'aime le voir traiter de thème d’actualité avec Souvenirs Goutte à Goutte, autant le voir représenter une famille moderne tout en creusant par moment l’écart générationnel avec humour et légèreté apporte un grand bol d’air frais.
Ceci étant dit, la principale caractéristique du film est à la fois sa force mais aussi sa limite : il assume entièrement le fait que ça soit une succession de scène de vie d’une famille moderne mais plus traditionaliste. Mais de l’autre il n’y a pas de fil conducteur solide entre les scènes et sur une heure et quarante minutes, le temps finit par se faire sentir.
Et cela me donne envie de reparler (encore) brièvement d’une série qui fonctionne un peu de la même manière dans sa construction schématique (bien que l’humour soit plus loufoque et délicieusement nawak) : Nichijou My Ordinary Life des studios Kyoto Animation ou je trouve que ça passe mieux grâce à sa structure qui est d’un épisode de 20 minutes.
Là ou Mes Voisins les Yamadas pâtit par moment de ses scènes parfois étirées même si ça n’enlève rien aux situations très diversifiées voire même bien cocasse de la famille Yamadas et tout le travail sur la construction de nombreux sketch ou gag.
Car soyons clair, de ce côté-là l’humour fait preuve d’énormément d’inspiration dans l’ensemble des sketchs et scène de vie de la famille Yamada : principalement sur l’effet de surprise et les réactions aussi imprévisibles que normales d’un membre de la famille Yamada au quotidien quand on y réfléchit à deux fois, quand Takahata n’utilise pas un gag pour rebondir ingénieusement sur celui-ci
(toute la séquence sur le gingembre et la supposée perte de mémoire qu’il cause, un bel exemple d’humour rondement mené et réussie).
Un humour que parvient à contrebalancer Takahata en abordant des scènes de vies plus banales et ordinaire et qui sont parfois plus proche de ce que livre le cinéaste dans ses films plus sérieux. La grand-mère Shige qui s’interroge sur le temps qui lui reste à vivre le temps d’un passage devant un cerisier en fleur, Takashi le père rentrant d’une journée éreintante et profitant du peu de repas que sa femme a à lui proposer devant la télévision, ou une rencontre avec une amie de la grande mère Yamada à l’hôpital se terminant sur une note assez plombant (et très souvent avec un texte de poésie Haiku comme ceux de Bashô).
Preuve qu’entre toutes ces séquences de vie tourné à l’humour, le film laisse vivre et se dessiner le portrait de la famille Yamada chacun mémorable à sa manière : de la jeune Nonoko à la mère autoritaire Matsuko, en passant par la grand-mère langue de vipère Shige et le lycéen ordinaire Noboru.
D’ailleurs l’animation franchit lui aussi un nouveau cap. Très inspiré par le court-métrage Crac ! de Frédéric Back, Takahata et le studio ont eu recours aux ordinateurs pour animer en 2D avec un style graphique proche du tableau, autant dire de l’aquarelle grâce aux coloriages informatique et au rendu couleur sur lequel joue le film et donne ce cachet particulier en terme d’atmosphère, étant d’ailleurs souvent calqué sur le manga d’origine pour les histoires déjà crées et auxquelles Isao Takahata a décidé de créer une suite (à juste titre).
Et celui-ci est mis au service des fantaisies visuelles de son cinéaste (bien plus sainement qu’un bousin d’Illumination Entertainement) comme le discours sur le mariage de Takashi et Matsuko.
Atmosphère comique renforcé par le doublage japonais supervisé par Takahata, et la musique d’Akiko Yano dont le style musical ainsi que la voix sont très accordés avec le travail visuel. Notamment avec l’amusante reprise de Que Sera Sera lors des dernières minutes et le thème d’ouverture, terminant le film sur une touche de bonne humeur à l'image du reste du long-métrage.
Il est vrai que ça n’en fait pas un Ghibli ambitieux et que Takahata cherche un but très différent de ce que Miyazaki propose de son côté, mais si ça arrive à atteindre son objectif, je ne vois pas quelle reproche il y aurait à faire. C’est globalement bien construit et bien contrebalancé, il s’assume pour ce qu’il est : un moment de détente très bienvenu après une journée éreintante nous faisant dire avec optimisme que oui, dans certaines situations on n’y peut rien mais il nous faut faire avec.
Et au milieu de tout ça se trouve un court extrait tiré d’un célèbre conte japonais qui constituera le bijou de la filmographie de Takahata bien plus tard.
On y viendra.