Deux pitons rocheux, chacun coiffé d'un monastère, l'un pour les hommes l'autre pour les femmes. Au milieu, un autre mont, bien moins haut, sur lequel est posé un unique arbre. L'image est belle. L'arbre évoque le jardin d'Eden, et donc le péché originel. Car Théodoros et Urania s'aiment, et sont tentés. Contre leur amour : leur engagement religieux, et la communauté à laquelle ils appartiennent. Le film dit la lutte intérieure que chacun d'eux va mener. On les voit en prière, à l'office, rendant visite à un paysan... une vie contemplative que vient troubler la passion amoureuse. Les pensées des deux amants sont traduites sous la forme de films d'animation, dans le style des icônes orthodoxes. Très réussi. On voit ainsi le sol se morceler sous les pieds d'Urania pour découvrir des scènes de l'enfer dignes de Jérôme Bosch. Ou ses cheveux - l'ultime partie du corps soustraite à la concupiscence de Theodoros - s'allonger pour rejoindre la chambre de Theodoros, comme un pont les unissant. Ou Theodoros dans le labyrinthe de Dédale, fil d'Ariane à la main (on est en Grèce), se confronter non pas au Minotaure mais au Christ, dont il cloue les mains, déclenchant une mer de sang. Tout cela est très poétique. La musique aussi concourt à traduire l'état intérieur des deux protagonistes, par exemple dans cette scène où la percussion accélère jusqu'à un climax.
Le site réel - reproduit sur un panneau de bois - est à couper le souffle. Spiros Stathoulopoulos le filme traversé de vaisseaux de brume, c'est envoûtant. Beaucoup de plans superbes à l'intérieur aussi, comme Urania sur son lit en plongée, ou derrière une flamme, en face de sa mère supérieure.
Très beau donc, mais... un peu ennuyeux car il ne se passe pas grand chose ! Le sommeil m'a souvent guetté je l'avoue. Heureusement, Stathoulopoulos insère quelques scènes plus vivantes, et tout à fait surprenantes :
- Une scène dans une bergerie, où l'on voit d'abord des chèvres dévaler une pente (j'adore celle qui passe en dernier au premier plan alors que l'homme a fait son apparition !). Un homme va égorger une chèvre sous un arbre ; caméra à l'épaule, on passe soudain à un style documentaire. Sans quitter la métaphore religieuse, en l'occurrence l'image du bouc émissaire, sacrifié pour absoudre les péchés des hommes - ici celui que nos deux amants s'apprêtent à commettre.
- Une scène de masturbation d'Urania, gros plan sur son sexe et sur ses seins. Totalement inattendu !
- Les scènes avec le paysan : celle où il évoque son dévouement à sa terre, faisant office d'injonction morale pour Theodoros. Puis, plus tard, celle où il joue à la flûte des chansons d'amour, montrant que Theodoros a bien franchi le pas.
- La scène d'amour dans la grotte, dont le son a très intelligemment été coupé, lui donnant plus de force encore. La sortie de la grotte avec cette ouverture de lumière, très photogénique.
- La scène des miroirs qui projettent leurs faisceaux, qui fut à l'origine du film, raconte l'auteur.
"Désespoir", "liberté" et "mer" sont les trois mots qui unissent les deux amoureux - et les font rire. Le désespoir, c'est le péché suprême, celui de ne plus faire confiance au recours divin. Même s'ils font le choix de quitter la communauté pour s'aimer, ils doivent avoir confiance. "Liberté" : tout le film pose cette question, être libre, est-ce se plier aux règles de la communauté, ou la quitter ? Enfin, "mer" est plus mystérieux. On peut penser qu'il fait référence à l'ailleurs, le lieu où sont implantés les monastères étant particulièrement aride.
Une oeuvre exigeante, pas facile à suivre - heureusement courte -, mais profonde et pleine de grâce. Qui laisse des traces.
7,5
P.S. : vu récemment Juliette des esprits de Fellini, où sa voisine dit à Juliette, en montant en haut d’un arbre dans une nacelle : « il y a un monastère en Grèce auquel on accède comme ça ». Serait-ce celui-là ? Coïncidence ou Stathoulopoulos avait-il vu le Fellini ?...