Metropolis
7.2
Metropolis

Long-métrage d'animation de Rintarô (2001)

Oui, on connaît Ghost in the Shell. Oui, on connaît Akira. Oui, on a vu, ou lu, le Nausicaä de la Vallée du vent de Miyazaki. Oui, le Blade Runner de Ridley Scott parut et Philip K. Dick mourut à peu près 19 ans avant ce film. Oui, le premier long-métrage portant ce nom date de 1927, est signé Fritz Lang et s'avère sacré depuis longtemps chef-d'œuvre du cinéma (ayant lui-même inspiré le manga adapté par le présent anime). Oui, les références et les influences se démultiplient. Oui, on adapte quelque chose d'inspiré.

Tout ça, on le sait, si on a de longues années derrière soi, une passion pour la science-fiction et les œuvres animées japonaises ou.... Google, SensCritique et un peu de curiosité.
N'étant armé que de ces trois derniers éléments, je me lance, un peu candide, dans la critique épineuse de ce "Metropolis" de 2001, dirigé par Rintaro (Albator), tiré du manga éponyme de feu Osamu Tezuka, le célèbre "dieu du manga".

Osamu Tezuka's Metropolis nous raconte l'enquête d'un détective privé japonais un peu bonhomme, Shunsaku Ban, et de son jeune et naïf neveu, Kenichi, dans la gigantesque cité futuriste de Metropolis, capitale technologique, économique et politique de la Terre, à la recherche de Laughton, un vieux scientifique spécialisé dans la robotique illicite. En effet, à Metropolis, les robots (on ne parle pas d'androïdes chez Tezuka) endossent un rôle majeur dans la main-d'œuvre, ce qui, d'ailleurs, réduit sérieusement les emplois et entraîne une colère amère parmi la population. Les manifestations y sont courantes (même en périodes interdites), l'économie y est solide mais inégale. Afin de calmer tout ce petit monde et de profiter personnellement de la situation, un homme de forte influence, le Baron Rouge - aidé de son fils adoptif, Rock, jeune tireur d'élite fidèle mais instable qui gère la sécurité de la loi robotique au sein de la mégalopole - prépare un coup d'état afin de renverser le Président de Metropolis et imposer une monarchie réformiste très particulière... En effet, le Baron Rouge n'a qu'un but : installer sur le trône un robot d'un nouveau genre, dénommé Tima, chef-d'œuvre technologique, créé en cachette par le professeur Laughton en personne. Les routes de tous ces personnages, Shunsaku, Kenichi, Laughton, Rock et Tima vont se croiser et bouleverser les plans du Baron Rouge : Tima, inachevée, ne lui sera pas livrée, sauvée de justesse par Kenichi d'un incendie - dont Rock, bouillant de jalousie, fut la source - ayant consumé le laboratoire de Laughton. Tima, aux côtés de son jeune sauveur, va découvrir le monde qui l'entoure et se mettra à ressentir des sentiments humains. Son aptitude programmée à diriger le monde sera, de fait, entièrement remise en question...

Graphiquement, Metropolis est une merveille du genre, une perle indéfinissable que je n'oserais pas juger supérieure à d'autres (je n'ai pas vu "Le Roi et l'Oiseau", ni "The Irion Giant") dans l'océan des grands films d'animation. Tout y est très soigné, riche et travaillé. Le dessin, fourmillant de détails, débordant de paysages et de lieux intrigants, restitue Metropolis et son ambiance variable à l'aide de multiples couleurs, à la fois contrastées, sombres, colorées, vivantes selon les scènes (mention spéciale à un passage unique en son genre, extrêmement court : le dessin extérieur de l'hôtel ou se cache le détective à un court moment du film, composé de wagons de train réaménagés et dont la réception, à l'extérieur, fait guise de gare), on y inclue des images de synthèse pour certains grattes-ciels et autres structures, comme le Ziggourat (gigantesque QG du Baron) ; Rintaro et son équipe adaptent ainsi le manga de Kezuka avec virtuosité : le résultat est de toute beauté.
Cas à part cependant : les personnages. La façon dont le spectateur les regarde peut dépendre de sa vision du "style manga" caractéristique à Osamu Kezuka, ce style arrondi, bon enfant, qui insiste sur le contraste de nombreux passages du film. Je pense qu'il s'agit cette fois plus d'une question de goût et - surtout - d'ouverture d'esprit visuelle, car tout simplement, ces personnages se dégagent de leur environnement et nous rappellent indirectement que nous regardons quelque chose de japonais (grands yeux brillants, cheveux, physionomies). A mes yeux, ils ne dérangent pas. Je pense plutôt que ce style réussit à caractériser les états d'âme des protagonistes, qui nous attendrissent ou nous révoltent bien plus aisément. Ils conservent le style graphique unique du maître, un peu caricaturaux, mais aussi efficaces que pétris d'humanité. L'animation fait d'eux de véritables acteurs de théâtre, aux gestes travaillés, répétés, francs, aux mimiques sincères, troublantes, débordantes d'émotion. De ce point de vue, la comparaison avec Miyazaki est incontournable, mais les deux artistes n'ont en commun que la nationalité et la puissance, remarquable, de leur animation. Le dessin de Metropolis n'a rien de similaire avec celui d'un Voyage de Chihiro. Et leurs univers sont suffisamment différents.

Le scénario dépasse toutes les attentes possibles. On s'attend, tout bêtement, à quelque chose de vu et revu, adapté et réadapté, un univers SF déjà-vu avec une Metropolis similaire à tout ce qui a déjà été fait, teintée de l'influence de Rintaro. De même pour l'histoire, on voit venir un énième "Ghost In the Shell" ou un Osamu Kezuka's Blade Runner d'après le synopsis à l'arrière de la boîte du DVD : une histoire de robot qui s'interroge sur sa condition et se compare à l'humain (n'en est-il pas un ? N'a-t-il pas les mêmes caractéristiques ? N'est-il pas lui-même engendré par l'être humain ?). Eh bien, pas du tout. Metropolis aborde peut-être les mêmes bases contextuelles, il est tout à fait différent de ses confrères. Les personnages efficaces, le graphisme magnifique, l'anime aborde de graves sujets, comme l'autocratie (un unique robot sur le trône), la tyrannie, le chômage (la machine remplace l'homme, on a ça depuis la Révolution industrielle), le petit peuple, immense et oublié (entassé dans les sous-sols puants de Metropolis) la violence des révoltes (passage poignant), la guerre (l'influence encore ardente du désastre atomique) la science à maîtriser et la toute-puissance de la technologie, l'identité de l'homme, l'amour (oui, sujet grave dans Metropolis, et aussi bien maîtrisé que dans "Chihiro" ou "Princesse Mononoké"), la religion (une apocalypse, une spiritualité) les méga-mégalopoles à prévoir dans les prochaines décennies... et surtout, la vraie question philosophique de ce film : "Qui sommes-nous réellement dans ce monde ?" L'identité de l'être humain dans l'univers, son utilité et ses actes sont imposés au regard du spectateur. La richesse de l'animation dépasse le visuel et nous plonge dans quelque chose de tout bonnement visionnaire.
Une phrase : progresser en n'oubliant jamais de progresser dans l'humanité.

Cerise sur le gâteau, agrément souvent décisif dans la réussite d'une pâtisserie : la bande originale. L'univers de Metropolis est bercé par le jazz, d'une musique apaisante et très bien choisie, d'une qualité extraordinaire. On retient le nuancé "St. James Infirmary" (Louis Armstrong) ou le troublant "There'll Never Be Goodbye", tous deux compléments particulièrement fructueux. L'ambiance prend une tournure très intéressante et c'est là que le contraste prend toute son ampleur ; un optimisme, un vrai, qui nous pousse à réfléchir. Une véritable réflexion, comme dans tout bon long-métrage... D'ailleurs, il n'y a pas de happy end dans Metropolis.
Niveau son, les bruitages sont bons, les voix réalistes et très bien doublées (vu en VO) et l'enchantement accompli.

Jamais, après avoir vu Metropolis, nous n'oublierons qu'avant le touchant Wall-E et son syndrome de Sisyphe, il y avait le valeureux Fernando (Fifi pour les intimes), jamais, nous n'oublierons la bouleversante et immense beauté de Tima, étincelante au soleil, et ses cheveux blonds flottants dans le vent, et ses grands yeux d'émeraude, allégorie de l'innocence et de l'ingénuité, plongée dans les ténèbres insondables par des dirigeants fous, jamais nous n'oublierons son ami Kenichi, ayant tout fait pour la sauver, jamais nous n'oublierons la démence de Rock, pris entre deux feux, jusqu'à la mort, jamais nous n'oublierons l'héroïsme de Shunsaku, jamais nous n'oublierons la scène finale, paroxysme du film, avec "I Can't Stop Loving You" interprétée par Ray Charles en fond musical, jamais nous n'oublierons Metropolis.
Je ne me permettrai aucun autre "spoiler" à ce sujet tant le passage final du film me reste dans l'âme. Tant ce film me reste dans l'âme. "Qui je suis ?" ai-je cité en titre... eh bien, cette question, enfantine et troublante, résonne encore en moi, en japonais, de la voix déchirée de Tima, en écho, comme un appel à l'absolution, comme un appel à la vie.
Et j'ai bien envie de partager cette émotion à tous ceux qui ne l'ont pas ressentie.

Ouais, j'ai pleuré. Et j'ai pleuré encore au générique.
Ça ne m'était plus arrivé depuis longtemps.

Metropolis mérite ses dix étoiles. Parce que Metropolis est magnifique. Parce que Metropolis n'est pas qu'un simple anime de plus sur les robots.
Parce que "Metropolis" est humain, tout simplement.
Aloysius

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