Hormis le style et le format très large Cinemascope, on pourrait croire à un film de Mizoguchi dans son récit d'une humiliation en périphérie d'une maison de geisha. Il y a quand même une petite difficulté, dans l'immersion dans ce portrait d'un commerçant en soieries, Jirozaemon, puisque le protagoniste est quand même un sacré couillon, le genre d'homme très riche et très honnête, à un point tel qu'il expose ses faiblesses de manière bien trop évidente pour qu'elles puissent nourrir une tragédie émouvante sur le long terme. Qu'on en fasse des tonnes sur la tragédie de sa condition d'enfant défiguré et abandonné, puis sur sa condition d'homme moche dont aucune femme ne veut, pourquoi pas, l'écrin du cinéma japonais permet de gommer ce qui pourrait paraître outrancier ailleurs (pour ces raisons mystérieuses pas tout à fait élucidées de mon côté). Mais par contre, du point de vue de la construction de la déchéance de son personnage perdu dans la folie romantique, j'en attends quand même un peu plus d'un mélodrame, quelle que soit sa nationalité.


En parallèle de son histoire à lui, il y a l'ascension sociale de la courtisane dont personne ne voulait, Tamatsuru, une ancienne taularde, qui verra dans ce personnage d'homme isolé une opportunité dorée de prendre sa revanche sur son environnement qui l'a, elle aussi, rejetée. Mais aucune trace de solidarité entre les rebuts de la société dans Meurtre à Yoshiwara, et Tamatsuru se servira de Jirozaemon comme d'un simple accessoire, un tremplin pour sa réussite personnelle et rien d'autre. Devenir première courtisane est son seul objectif, et si cela doit passer par la manipulation, cela ne lui pose aucun problème.


Le film d'Uchida, assez éloigné de ce qu'on peut connaître de lui habituellement, peut se concevoir comme une galerie de monstres. Des monstres physiques, des monstres cupides, des monstres cyniques. Hormis le personnage principal partagé entre son côté entrepreneur respecté chez lui et ses penchants pour la soumission à la ville, le quartier de Yoshiwara semble peuplé d'individus tous plus veules et médiocres les uns que les autres, qui ponctionneront jusqu'à la mort tout ce qu'ils pourront chez cet homme riche et naïf. Le film est en outre intéressant pour la description des lieux, du fonctionnement de la maison de geishas, du réseau d'enjeux qui structure la communauté, et de l'apprentissage que suivra Tamatsuru afin de transformer sa frustration en une force lui permettant de prendre l'ascendant. Une curiosité aussi au sens où toutes les belles valeurs exhibées par Jirozaemon, la bonté, l'honneur, l'altruisme, habituellement célébrées dans les films similaires, sont précisément les raisons qui le conduiront à sa perte, à la destruction totale de son être — et qui exploseront dans un final sous forme de feu d'artifice plein de rage.


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Morrinson
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le 6 oct. 2023

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Morrinson

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