Le grand empire russe est en danger. Une invasion est en cours, et si des actions ne sont pas assez vite prises, le chaos risque de s’emparer de la grande Russie. Le destin de l’empire est confié à un homme, le courrier du tsar, qui va devenir un véritable héros : Michel Strogoff.
Michel Strogoff était un personnage qui m’était relativement familier, notamment grâce à un dessin animé qui passait il y a 15-20 ans à la télé, et que j’appréciais beaucoup. Cependant, je n’avais plus beaucoup de souvenirs de l’histoire générale. Retrouver le fameux courrier du tsar sous les traits d’Ivan Mosjoukine était l’occasion de découvrir l’un des acteurs les plus célèbres en France à l’époque, et de partir à l’aventure. Car le cinéma français des Années Folles avait beaucoup à offrir, et cette adaptation du roman de Jules Verne par Victor Tourjanski ne nous fera pas dire le contraire.
Le film s’ouvre en montrant Jules Verne en plein travail d’écriture, nous invitant à profiter de son travail d’imagination, et à assister à la genèse de l’un des héros auxquels il a donné naissance. Nous voici envoyés à Moscou, en plein bal, admirant d’emblée le faste de l’empire russe et de sa noblesse. En quelques minutes, Michel Strogoff annonce la couleur, nous immergeant progressivement dans une fabuleuse épopée qui va nous faire explorer les immenses étendues de l’empire russe.
Au fil de son trajet, Michel va vivre de nombreuses péripéties, donnant au film une allure de grande fresque historique, nous faisant rencontrer divers personnages en divers lieux. Le film de Victor Tourjanski est avant tout un film d’aventure, alternant entre scènes spectaculaires et grands espaces, et cadres plus intimistes. L’intrigue est construite sur la base d’une sorte course-poursuite entre Michel et les Tartares, opposant l’avancée de Michel vers sa destination et l’avancée des troupes Tartares, créant une tension grandissante qui plonge inexorablement le personnage et l’empire dans la tourmente. Les stigmates de la douleur et de la guerre vont progressivement se reporter sur Michel, héros intrépide qui est ici exposé à ses propres limites.
La quête de Michel, avant tout militaire, va finir par devenir très personnelle et affecter son propre destin. Au début du film, nous découvrons un soldat pour, peu à peu, découvrir l’homme, qui va être durablement marqué par cette aventure. La mission devient un chemin de croix, une quête parsemée d’épreuves, auxquelles Michel doit apprendre à faire face, au péril de sa vie, n’étant plus un simple courrier, mais bien le messie qui va sauver l’empire de la barbarie. L’homme, condamné par les traîtres, se transcende à travers sa bravoure et la puissance de l’amour. Le courrier, le soldat, se voit alors consacré.
Pour mettre en avant les effets de cette sainte quête menée par Michel, le héros va régulièrement changer d’apparence, passant du soldat apprêté à la moustache bien taillée, au solitaire barbu et débraillé, du soldat suivant ses principes, au solitaire qui n’a plus rien à perdre. Un exercice qui n’était pas étranger à Ivan Mosjoukine, qui s’était déjà transformé à plusieurs reprises dans Le Père Serge (1918) de Yakov Protazanov, pour un résultat souvent impressionnant. Et il faut rendre à César ce qui est à César : si le film est aussi impressionnant et prenant, c’est en très grande partie grâce à la qualité de son acteur principal, qui porte le film à bout de bras, quelle que soit la situation. Charmeur, héroïque, pathétique, Michel Strogoff passe par tous les états, et Ivan Mosjoukine est toujours parfait.
Les américains avaient le fantasque Douglas Fairbanks, enjoué, charmeur et intrépide. Nous avions le ténébreux et charismatique Ivan Mosjoukine, que j’ai pu découvrir ici avec grand plaisir. Mais n’oublions pas non plus la place des femmes, qui est ici prépondérante. Tout d’abord Nadia (Nathalie Kovanko), secourue par Michel, et qui sera sa compagnonne tout au long de son aventure, le ramenant presque d’entre les morts, mais également Marfa (Jeanne Brindeau), la mère de Michel, autre figure protectrice, et symbole de ce pays qui l’a vu grandir et qu’il a été missionné de sauver. Des personnages forts, sans qui Michel pouvait espérer aller au bout de sa mission.
Michel Strogoff est un film d’aventure épique, beau et spectaculaire, avec une histoire prenante à souhait et un héros charismatique. Tourjanski ne lésine pas sur les moyens, avec d’immenses décors plein de figurants, mais le film ne mise pas que sur la quantité, en adoptant un langage visuel très éloquent. Quelque chose de presque obligatoire quand on parle de cinéma muet, mais ici toujours fait de manière astucieuse et intelligente, au détour d’un zoom sur une oreille pour suggérer l’écoute, ou d’un découpage très rapide et frénétique d’une séquence pour montrer une situation d’urgence et de catastrophe, permettant de donner de la force à la narration du film.
C’est un film construit de manière intelligente, invoquant l’imaginaire à travers l’apparition de Jules Verne et l’invocation de son imagination, permettant au film d’adopter un ton épique, presque biblique par moment, conférant au métrage une véritable force, notamment sur le plan visuel. La grandiloquence dont fait parfois preuve le film ne fait pas que son ambition se réduit à une soif de démesure, car Michel Strogoff est également un film de détails. Voilà donc un grand film qui emporte, qui surprend, un immanquable du cinéma muet.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art