Mickey 17
6.6
Mickey 17

Film de Bong Joon-Ho (2025)

L’amoncellement de critiques assassines a bien failli ébranler ma foi en Bong Joon-Ho. Mais comme il était évident que je verrais le film quoiqu’il arrive, n’ayant jusqu’à présent pas trouver un seul faux pas dans la filmographie d’un des grands cinéastes contemporains, la surprise fut plutôt bonne quand je me suis rendu compte que j’étais plutôt convaincu. Sans doute le bas du panier du réalisateur, mais si tous les bas de panier pouvaient être aussi hauts, on serait quand même bien gâtés.


Mickey 17 est une fable aux allures de farce grand guignolesque tirant vers pantalonnade, avec une impression de potards poussées un peu trop loin. Sans doute du fait d’une translation approximative de l’humour coréen dans un contexte occidental de blockbuster, à l’instar de Okja qui flirtait avec le même ridicule. Une tonalité qui fait par ailleurs penser à Don’t Look Up dans la formule comme dans le fond (passer un message a priori évident par une métaphore peu subtile, pour se rendre compte derrière que le public n'a pas compris le sujet). Un projet sur les étagères de la Warner depuis presque deux ans, entre la fin de tournage en janvier 2023 suivie de mois de pourparlers entre le studio et le cinéaste pour que ce dernier ait le dernier mot sur le montage, puis la grève SAG-AFTRA qui a repoussé la sortie d’une autre année. Un remisage qui lui a fait perdre une partie de l’efficacité de son discours, sans doute plus frappant avant une réélection de Trump qui brigue à nouveau tout le temps médiatique et que le public est lassé de voir, et où la caricature est sans cesse minimisante par rapport à la réelle folie croissante du verrat, quand bien même Mark Ruffalo incarne le despote orangé de bout en bout, jusqu’aux mimiques buccales. Mickey 17, par ses aléas de distribution, rate le coche sur ce dispositif.


Moins excusable est le ratage du coche sur le juste dosage à trouver dans la bouffonnerie, l’amoncellement de thématiques, et la lourdeur de livraison de ses messages.


Une première lecture, très terre à terre et très appuyée par le film, est celle qui voudrait mêler dans un patchwork disgracieux les discours totalitaristes sur la race pure, les questionnements éthiques sur la viande recyclée de Mickey qui n’en fait plus qu’un produit de consommation (jusque dans les yeux de sa compagne qui en fait un sex-toy, où dans l’imprimante organique qui bégaie comme celle de votre bureau - un gag qui s’avarie avec la répétition), la supériorité humaine (blanche et mâle de préférence) sur le reste du vivant via une colonisation débridée de toute conscience morale, la mégalomanie d’un impérialisme fanatique, l’essentialisation du corps féminin à sa fonction de pondeuse… Un foisonnement de pistes qui semblent souvent aller dans une impasse, participant de concert avec le ton criard au caractère indigeste de l'œuvre.


Sauf que, là où le géniteur de Snowpiercer tire son épingle, c’est dans son discours anticapitaliste qui place de nouveau la lutte des classes au centre de l’échiquier. La figure des multiples de Mickey fait de la classe ouvrière une multitude qui n’est in fine qu’une seule entité aux objectifs communs. Si la première réaction de 17 et 18 est de s’entretuer, c’est pour statuer sur la déshumanisation qu’engendre le système, la création d’une fracture entre les individus par l’aliénation. Diviser pour mieux régner. Passé la réaction primaire, programmée en profondeur par le broyage systémique et systématique, ils en viennent à s’écouter et à s’accorder sur le marche à suivre. Et si 17 courbe l’échine car nécessiteux de ce rôle de rouage exploité pour s’imbriquer dans la machine, 18 lui s’indigne et pousse vers un changement de sa condition. Deux facettes d’une même pièce, l’exploité docile car écrasé sous la botte consumériste, et le révolutionnaire qui n’a rien à perdre.


Et si la multiplication des péripéties, jugées dispensables au premier abord, ne devaient tenir qu’à un fil rouge, celui de cette première lecture évoquée plus haut, ce serait celui-ci. Celui du regain de la conscience dans la masse, de l’abandon de l’humanité lié à la chaîne de production pour satisfaire quelques élites auto-proclamées. Le trop plein initialement perçu devient alors véhicule de cette démonstration de lutte, se concluant au générique en rendant son nom à Mickey, sa place dans la société, son individualité, son humanité. Une étape est franchie, mais le combat n’est pas fini, comme le laisse entendre ce final, bien plus pessimiste que beaucoup de critiques laissent entendre, qui refuse une conclusion satisfaisante en faisant des dérives passées les hantises du futur par l’insert du cauchemar (où l’on fait tout de même du leader un nouveau produit de consommation, et donc un bien appartenant à un propriétaire) au sein même de l’épilogue. Particulièrement pertinent en ces temps troublés, où les avancées sociales gagnées par les militants d’hier se font démonter pour alimenter quelques milliardaires.


Alors est-ce que le sous-texte, caché sous un vernis premier degré exubérant, annule toutes les maladresses stylistiques et scénaristiques de l’ensemble? Probablement pas, et la première vision de Mickey 17 n’en est pas rendue moins semblable à un gavage méthodique. Mais elle est suffisante pour me faire trancher entre le 6 et le 7, et me dire que je relancerais sûrement le film dans quelques années pour l’appréhender avec ce regard plus éclairé.


Frakkazak

Écrit par

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