Véritable coup d'éclat cinématographique, Take Shelter s'était permis une belle réappropriation des codes du fantastique en jouant sur le non-dit et le tacite, sous-entendant l'extraordinaire afin de mieux parler du quotidien, de l'Homme et de sa famille. Midnight Special ambitionne à la même performance mais par le biais de la science-fiction cette fois-ci, à travers l'histoire d'un enfant aux pouvoirs surnaturels et de sa famille qui tente de le protéger. Un pari osé, tant la SF paraît aujourd'hui crouler sous l'esbroufe et l'inutile, qui s'avère être réussi... mais en partie seulement. Contrairement à ce qu'il avait fait auparavant, Nichols maintient difficilement son cap et hésite continuellement sur le chemin à entreprendre : entre super et ordinaire, SF et drame familial, ou tout simplement entre rêverie nocturne et réalisme diurne. Un problème annoncé d'une certaine manière par le titre, le terme "Midnight" ne se référant qu'à la première moitié du récit, exaltant de douces promesses qui s'envoleront aux premières lueurs du jour.


Midnight Special débute pourtant de la meilleure des façons en nous plongeant immédiatement au cœur de l'action, en s'intéressant à une traque nocturne dont chaque zone d'ombre constitue un terreau fertile à notre imaginaire. Qui est donc cet enfant : extraterrestre ou messie ? Être bienfaiteur ou démoniaque ? Nous n'en savons rien, tout comme nous ne connaissons ni l'étiologie ni la finalité de cette course prise en cours de route. Le scénario, simple et bien écrit, joue parfaitement le jeu de la rétention d'information et installe un mystère savamment entretenu par une mise en scène qui sait distiller ses effets (faisceau de lumière jaillissant du regard de l'enfant, pluie de feu occasionnée par la chute d'un satellite...). Ces fulgurances ne font pas que joliment émailler le récit, elles constituent de vrais moments d'intensité (angoissante ou violente) qui marquent durablement notre esprit en rompant brusquement avec l'ambiance éthérée suscitée jusqu'alors.


Mais tandis que le mystérieux gagne agréablement l'écran, prenant, captivant, la narration s'emballe et s'emmêle un peu les pinceaux. Le mystère, justement, semble si important dans l'esprit de Nichols qu'il en oublie parfois le reste, ses personnages notamment. Les fausses pistes se multiplient, le flou s'intensifie et détourne notre attention du destin de ces pauvres êtres qui fuient sur les routes durant la nuit. On retient surtout l'image de cette voiture fonçant à vive allure tous feux éteints, mais beaucoup moins celle d'une famille malmenée par les événements. Ce qui faisait la force de Take Shelter, c'était cette intimité qui n'était jamais occultée par la dimension fantastique. Avec Midnight Special, l'empathie a bien du mal à percer, il faudra attendre la seconde partie et la lumière du jour, pour enfin y parvenir. C'est là où l'on pointe du doigt le principal problème narratif, c'est cette dichotomie qui provoque une vraie cassure dans le récit et donne l'impression d'un manque d'homogénéité. Certaines sous-intrigues semblent étrangement délaissées (celle du Ranch par exemple), les facilités scénaristiques s'enchaînent (le décryptage du code), le minimalisme du début s'efface au profit d'une efficacité plus classique, le suspens laisse la place au drame familial. Sous le joug du soleil, c'est un nouveau film qui semble éclore, nous laissant voir ce que l'on espérait depuis le début (les émotions) mais également ce que l'on redoutait secrètement (la perte du mystérieux avec notamment ce final trop explicite).


Pourtant malgré ses failles et ses insuffisances, Midnight Special mérite le rachat, le mien en tout cas. Pour tout ce qu'il nous offre à rêver, pour tout ce qu'il permet de me remémorer, ressuscitant l'espace d'un instant des sentiments éprouvés lors de mes nuits d'apprenti cinéphile, abandonnés depuis en terrain de l'enfance. Une impression renforcée, il est vrai, par un second visionnage qui ne s'embarrasse plus de mauvaises surprises pour laisser émerger les fragiles qualités de cette ode au souvenir et à la candeur que constitue le quatrième jet de Jeff Nichols.


Le souvenir de ce cinoche des années 70/80 parcourt le film en profondeur et réveille la fibre nostalgique. Quel doux plaisir de s'immerger dans un univers nouveau mais pourtant si familier. Au fur et à mesure que l'intrigue progresse, la machine à remonter le temps s'emballe : c'est cette histoire qui semble reprendre joliment celle du Village des damnés de Carpenter, tout en l'assaisonnant d'un peu de Starman, de Spielberg (Rencontres du troisième type) et d'un soupçon de Stephen King (Shining). La discrétion du high-tech à l'écran et le minimalisme de la mise en scène donnent au film une agréable dimension rétro, solidement confortée par une coloration musicale semblable à celle de Big John.


Mais loin d'être un simple copieur, Nichols compose avec l'ancien afin de façonner son propre univers. Il n'est pas question pour lui de refaire du Spielberg ou du Carpenter, il ne cherche qu'à exalter leur souvenir afin de faire revivre leur singularité sous un jour nouveau. Ainsi, il assume pleinement l'héritage de ses pairs, joue avec les stéréotypes (l'enfant divin, les habituels méchants (sectes, organisations gouvernementales) et les trames classiques (la rencontre avec une entité extraterrestre, la menace d'une apocalypse) afin de nous rappeler, à nous spectateur, le monde, les codes, le langage d'un cinéma de science-fiction qui a traversé toute une époque, aujourd'hui révolue.


Sur ces bases usitées, à partir de ces clichés délicieux, il convoque notre candeur et notre capacité à l'émerveillement. À mille lieues d'un cinéma contemporain bien trop souvent cynique et racoleur, Midnight Special se fait fable en assumant utopie et bons sentiments avec une simplicité désarmante. Les explications, thèses, hypothèses ou vraisemblances sont alors parfaitement inutiles pour un film qui cherche moins à convaincre qu'à faire espérer... espérer retrouver l'espace d'un instant cette foi en l'enfance ou en l'innocence, semblable à celle portée sur Alton, cette capacité qui fut la nôtre autrefois lorsque l'on croyait possible une envolée à bicyclette vers la lune ou qu'un pauvre gus puisse venir des étoiles. Un peu maladroitement il est vrai, Nichols ressuscite une part de ce cinéma démodé qui sentait bon l'humanisme et la sincérité, nous invitant à croire en un avenir possible, malgré la mélancolie, la souffrance et l'abandon. Un espoir magnifiquement illustré par l'ultime image : une lueur brille dans le regard de Shannon, la réalité mortifère ne pourra jamais remettre en question le lien établi avec son propre enfant.

Créée

le 5 févr. 2023

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Procol Harum

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