Duplicity lights
Il faut un certain temps pour mettre le doigt sur l’emprise générée par Midnight Special. Parce qu’il est accidenté, parce qu’il n’est pas exempt de défauts, le trajet qu’il propose nous embarque...
le 17 mars 2016
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Une voix de femme nous préviens d'un enlèvement, on arrive dans une chambre d'hôtel, les deux hommes sont coupables, pourtant l'enfant ne semble pas apeuré, ils ne semblent pas méchants même s'ils sont armés. La voiture file dans la nuit alors que résonne les quelques notes de piano entêtantes qui nous accompagnerons tout le film. On se laisse bercer par les roues qui tournent, par l'ambiance nocturne qui s'impose, et la musique gagne en intensité, tandis qu'un superbe plan des phares perçant l'obscurité fait apparaître en grosses lettres blanches le titre du film. Seulement quelques minutes se sont écoulées et Midnight Special s'est déjà imposé, il est déjà omniscient et happe immédiatement par ce commencement in medias res qui recouvre toute une salle de cinéma d'une ambiance à la fois tendre et puissante.
Ce simple début est représentatif d'un film parfaitement dosé qui en deux heures n'en fera jamais trop ni pas assez, jonglant entre douceur et force, ponctuant la nuit de lumière, se présentant comme un road-movie science-fictionnel devenant le cadre d'un drame familial bouleversant. Ainsi Jeff Nichols, après nous avoir pondu Take Shelter revisitant subtilement le film catastrophe, retourne au fourneaux désireux d'explorer de nouveaux genres et de les modeler avec pureté et simplicité. Ici rien de trop exubérants, rien de trop lourds, tout coule naturellement et même la tombée inquiétante de débris de satellites ressemble à une pluie d'étoiles, à une traîné dorée dans un ciel opaque belle et dangereuse. Jeff Nichols exploite ici la science-fiction pour des expérimentations visuelles discrètes, les rayons bleutés des yeux d'enfants, des champs de forces devant l’aurore, une architecture épurée, des esprits de lumières. Son utilisation intelligente et minimaliste de l'image de synthèse est marquée par sa capacité à magnifier ces grands paysages du sud, ses forêts et marécages, mais aussi ses grandes routes interminables et ses cultures humaines. Le réalisateur nous montre l'Amérique visuellement mais entre aussi dans cette société pointant subtilement un obscurantisme religieux sectaire et naïf, tout en sculptant des personnages qui ont besoin de croire, et qui trouvent dans une foi plus pure une nouvelle forme d'espoir et une envie d'avancer. D'un côté nous trouvons les membres d'une secte un peu fous pris dans une religion absurde, de l'autre un scientifique curieux, une figure presque rationnel qui cherche à comprendre et, au centre, brille comme une lumière la croyance affective, un père qui croit en son fils, une famille fragile qui veut se rebâtir sur la confiance.
Parce qu'à nouveau on trouve ici un film sur la famille, ultime institution, dernier rempart contre un monde agressif, contre une société qui veut ostraciser les individus. Finalement le personnage le plus touchant est celui de Lucas, mû par sa confiance envers son ancien meilleur ami, mais aussi par la vérité montré par ce petit garçon et par-dessus tout par l'envie de voir cette famille se reconstruire se fichant d'un quelconque élément cosmique par peur pour la santé du petit garçon. Un drame humain qui aurait pu être grossier, en faire des tonnes. Mais Jeff Nichols a un talent d'écriture, et c'est avec subtilité que les sentiments les plus douloureux sont déployés. Il n'y a pas de Michael Shannon récitant de grandes tirades en pleurant, juste le regard d'un père -qui me hante encore- dévoilant une palette incroyable d'émotions, démontrant une nouvelle fois le talent de l'acteur ; pas de Kirsten Dunst tombant à genoux en hurlant et sanglotant, mais les larmes silencieuses d'une mère qui pour le bien de son fils doit le laisser partir.
Là où Midnight Special surpasse Take Shelter alors que les deux œuvres sont très similaires dans leur objectifs et propos, c'est par sa capacité à se dépasser. Alors que la retenue du film catastrophe bien que brillante pare l’œuvre d'un caractère légèrement frustrant, Midnight Special s'autorise quelques grands instants, où les basses explosent les tympans et accélèrent le cœur lors de grands moments visuels. Ces instants ponctuels achèvent le travail de fascination d'un film constamment auréolé d'une vision pure et enfantine. Le produit final est un mélange parfait qui exploite le cinéma comme une expérience presque physique mais aussi émotive.
Midnight Special est donc une fable magnifique, un conte de science-fiction sur les déboire d'un enfant fragile mais exceptionnel, qui donne de l'espoir aux adultes et qui doit avant tout rentrer chez lui.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes 2016, année de la braise, Les meilleurs films de 2016 et « Tous ces moments se perdront dans l'oubli comme les larmes dans la pluie. »
Créée
le 1 avr. 2016
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