La jeune Amy (Fathia Youssouf), onze ans, est profondément bouleversée, comme arrachée à elle-même, par l’humiliation que subit sa mère (Maïmouna Gueye), lorsque celle-ci apprend que son mari, rentré au Sénégal, va en ramener une seconde épouse. La jeune fille à peine pubère est alors attirée par une bande de gamines de son âge qui pratiquent le twerk, une danse incroyablement lascive et suggestive. Elle s’engouffre dans cette affirmation d’une féminité se situant à l’extrême opposé du modèle qui lui est inculqué par la culture sénégalaise et les prêches musulmans, modèle auquel se conforme sa mère : la femme doit être voilée et totalement soumise aux décisions de son mari. Amy s’exposera de manière impudique et, comme le lui reproche une tante (Mbissine Thérèse Diop) qui incarne l’autorité durant l’absence provisoire de l’homme, « ne fera que ce qu’elle voudra ».


Toutefois le propos de la réalisatrice et scénariste Maïmouna Doucouré n’a rien d’ambigu et le comportement qui apparaît aux yeux de l’adolescente comme une libération est clairement présenté comme un miroir aux alouettes, même si, en tant que tel, il n’est pas dénué de séductions. A preuve, cette scène magnifique où, sur fond du splendide « Nisi Dominus » de Vivaldi, on voit les jeunes filles, au ralenti, lancer dans les airs les vêtements aguichants qu’elles viennent de s’acheter avec l’argent qu’Amy a volé à sa mère. L’air entendu illustre en effet les paroles « Cum dederit dilectis suis somnun (Comme Il donne à ses bien-aimés le sommeil...) », avec un beau développement mélodique sur le mot « somnum », qui en dit long sur le rêve éveillé auquel sont en train de s’abandonner les quatre amies. Songe de l’éphémère, de la surface, d’une image qui leur échappe et qu’elles ne contrôlent plus ou pas encore, ainsi qu’en témoignent leurs mésaventures sur les réseaux sociaux. Les couleurs, subtilement saisies par Yann Maritaud, sont vives, chatoyantes, comme dans le conte de fées bariolé où évoluent les quatre princesses. Un conte dans lequel la magie peut soudain s’autoriser à faire effraction, sous les aspects d’une robe délaissée, mais qui semble dotée de l’étrange pouvoir de prédire à la jeune héroïne son proche avenir ou de vibrer sous ses émotions les plus intimes. Mention spéciale, d’ailleurs, à cette jeune héroïne, interprétée par la prometteuse Fathia Youssouf, dont le délicat minois livre sans fard les myriades d’émotions, même sous les paillettes.


Une grande intelligence organise la progression du scénario. Avec beaucoup d’élégance, Maïmouna Doucouré évite d’expliciter tout ce que l’on pourrait craindre ou attendre, comme telle ou telle réaction maternelle ou encore l’issue du concours auquel se présentent les jeunes danseuses. À la différence des airs rythmés, scandés, sur lesquels les jeunes filles enchaînent leurs poses, la très belle musique africaine de Niko Noki, nostalgique et douce, dit toute la douleur inavouée qui entraîne à ces excès adolescents. Et l’ultime plan, lui aussi soulevé d’aérienne magie, redécouvre l’innocence de l’enfance et une coïncidence nouvelle avec sa propre existence, comme une réconciliation avec la succession des âges et la promesse d’un affranchissement qui saura prendre son temps.


Au début du film, dans les interrogations que les jeunes filles partagent entre elles sur le masculin, l’une se demandait si une femme violée ne voyait pas la semence de l’homme lui traverser tout le corps au point de ressortir par sa bouche... La question reste à l’étude mais ce que Maïmouna Doucouré établit avec certitude, c’est à quel point les violences, même psychiques, faites à une femme traversent les générations et éclaboussent la fille après avoir transpercé la mère. Une démonstration à la fois discrète, subtile, et magistrale, violente, qui place d’emblée Maïmouna Doucouré dans la cour des grands. Des grandes.

AnneSchneider
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le 22 août 2020

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Anne Schneider

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