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Peut-être le meilleur film de Cassavetes, parce qu'il ne l'a pas réalisé, alors que tout paraît porter son empreinte ?


Contrairement à beaucoup de ses films atrocement plombants ("Love streams" et "Opening night" en tête qui font partie de mes pires expériences de ciné), il me semble que "Mikey et Nicky" trouve un équilibre fondamental entre comédie et tragédie.


J'en viens même à me dire que ce qui fait la force des grandes oeuvres, c'est leur capacité à produire des irruptions d'absurde, de déconnance et d'humour dans un cadre extrêmement sombre et angoissant. Cela crée un paradoxe vertigineux pour le spectateur : on regarde le film, on sait que la situation est grave, que les choses ont de forte probabilités de mal tourner, et pourtant on ne peut pas s'empêcher de rire de situations qui apparaissent comme parfaitement naturelles et humaines.


Je pense que les tragédies ont toujours leur part de drôlerie, voire de bouffonnerie, et il faut une sacrée dose de courage et de conviction pour l'assumer, oser le représenter, afin de ne pas sombrer dans des abimes de sérieux qu'un tel sujet impliquerait selon les conventions du bon goût :


Deux amis, New york, la nuit. Un contrat, un tueur à gages, une trahison définitive. Une tension permanente.
Et pourtant on se marre.


On se marre de cette complicité incroyable entre deux personnages, deux acteurs, deux amis sur l'écran et dans la vie, et où les frontières fiction/réalité deviennent plus que confuses. Quoi de plus crédible que leurs chamailleries, leurs bagarres au milieu des rues désertées du si cinégénique New York nocturne des années 70 (en terme d'élégance dans la réprésentation du paysage urbain new yorkais on est au niveau des "French connection"/"Taxi Driver"/"After hours", et même "Meurtre d'un bookmaker chinois" qui est le seul Cassavetes que j'ai su apprécier et qui en fait se situe à Los Angeles, mais l'effet rendu est très similaire) ? Quoi de plus vrai que leurs dialogues essentiellement improvisés (mais jamais gratuits ou vains), leurs ressentiments, leurs non-dits, et finalement leur amitié indéfectible ? Et cette formidable scène d'intrusion dans le cimetière, où les deux amis convoquent leur souvenirs d'enfances en naviguant entre les tombes, en pleine obscurité, toujours à mi-chemin entre le rire et les larmes (séquence très cinématographique avec ce travail sur le cadre, et l'errance des personnages qui apparaissent et disparaissent alternativement de l'écran). Et ces petits détails sur les personnages qui les rendent plus vrais que nature (je pense par exemple à l'anecdote de la montre du personnage de Peter Falk que je soupçonne être une source d'inspiration pour Tarantino dans Pulp Fiction)


On se marre de la duplicité constante des personnages (l'un fait semblant de ne pas trahir l'autre / L'autre fait croire qu'il ne se doute pas d'être trahi), du jeu du chat et de la souris avec le tueur à gages débonnaire (Magnifique Ned Beatty dans le rôle d'un tueur qui galère en pleine crise économique - et là encore un parti-pris réaliste qui fait mouche avec des problématiques concrètes et pratiques : comment filer un type dans un quartier sans se faire repérer quand il n'y a aucune place de parking ?), de l'oeil en coin et du sourire malicieux de Peter Falk absolument remarquable de bout en bout (et plus encore quand il essaye de draguer laborieusement une bonne femme, après avoir longuement attendu son tour, assis sur une poubelle).


On se marre de John Cassavetes qui provoque, qui pique, qui exaspère (à dessein), qui en fait des caisses, qui essaye de dévisser le cou du mythique Emmet Walsh dans le rôle d'un chauffeur de bus trop soucieux du règlement. Et puis le rideau tombe, et on se sent un peu amer, parce que la tragédie implacable et évidente finit par se dénouer. Le conformisme et la vie rangée triomphent de ces quelques instants suspendus d'insouciance immature.


C'est donc dans un état un peu confus qu'on ressort de l'expérience, pas parfaite du tout (le film accuse un petit coup de mou au niveau du rythme à partir du moment où les deux héros se séparent et on sent qu'on tire un peu sur la corde), mais à mon sens touchante et universelle.

KingRabbit

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8
2

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