Shannon Murphy, réalisatrice australienne débarque avec son premier long-métrage, Milla ou Babyteeth en VO, sorti en 2019 mais parvenu qu'en août 2021 sur nos grands écrans français.
Au préalable, il aura effectué un passage par les petites portes qu'on aura bien voulu lui ouvrir et même gagné quelques prix bien mérités lors de festivals moins prestigieux que celui de la croisette dont le Trophée Transilvania du meilleur film et le prix du public au Festival international du film de Transylvanie 2020 et le Prix Marcello-Mastroianni du meilleur espoir pour Toby Wallace lors de la Mostra de Venise 2019. Autant dire, qu'on passerait aisément à côté, comme l'atteste ses moins de 600 notes.
Ce film me renvoie à Fantastic Birthday, autre première œuvre méconnue d'une autre réalisatrice australienne. Autant dire que tout cela interroge sur le cinéma et sa distribution mais ce n’est pas le sujet ici.
Milla nous raconte l'histoire d'une adolescente de 16 ans qui tombe amoureuse d'un garçon plus âgé (23 ans), drogué, tatoué et coiffé de queues de rats, bref, le gendre idéal. Classique passage adolescent, cependant, Milla est atteinte d’un cancer.
A la lecture de ce synopsis, la crainte d’un film qui sombre dans le patho est légitime et peut freiner son visionnage. Nos étoiles contraires était très bien mais on ne veut pas refaire le match à la différence qu’un joueur est drogué. Ce n’est pas le cas, le film alterne énormément les thématiques, jongle avec les sentiments qu’il génère allant jusqu’à trancher dans le vif les passages qui allongeraient inutilement le visionnage. On sent la volonté de la réalisatrice de ne pas se fixer sur une émotion. L’image ne se fixe jamais et on est constamment amené à avancer ou à revenir en arrière sans jamais s’attarder sur un point particulier. Une étrange manière de nous toucher par petites touches particulièrement efficace rappelant que la définition de comédie dramatique passe à la fois par la comédie et le drame.
Maladie et addiction sont souvent relayées au second plan et gardées dans un coin de toutes les têtes, tant des spectateurs que des personnages au profit d’autres thématiques.
On pense évidemment à celle qui est liée à l’âge avec l’adolescence et le passage à l’âge adulte du personnage principal et à la crise de la cinquantaine au travers de ses parents. Mais une autre aura bien plus saisi mon attention, parce que c’était le but ou parce que j’y ai été plus sensible, je ne saurais le dire. Il s’agit bien de l’affranchissement du cadre, de la bienséance et du contrôle.
Fille unique d’un père psychiatre et d’une mère virtuose, anciennement pianiste à succès, l’affirmation de soi ne peut pas être aisée au milieu de 2 parents qui ont fait du contrôle le mot d’ordre de leur vie. L’un ne s’exprime jamais et « guérit » ses patients sans même prêté l’oreille à leurs problèmes grâce à ses prescriptions médicamenteuses, dont bénéficie d’ailleurs son épouse. L’autre, droguée, légalement, se tient à carreaux, vivant dans la nostalgie de son passé déchu et dans la reproduction de son schéma au travers de sa fille.
Quelle est la meilleure manière de chambouler cet univers ? En y faisant entrer quelqu’un aux antipodes.
Il y a les esprits libres et/ou perdus, selon le point de vue, qui refusent de rentrer dans une case et qui s’opposent complètement à ceux qui sont prêts à enfiler une camisole (chimique) pour les cocher.
C’est sur ce terrain de jeu qu’arrive Moses, à la manière d’un Antoine Olivier Pilon dans Mommy. Tout comme ce dernier, Toby Wallace joue à la perfection ce jeune marginal. Dès sa première rencontre avec les parents de Milla, il expliquera sa volonté de ne pas juste devenir « fonctionnel ».
Son originalité jouera au diapason de la réalisation alternant mises en scènes loufoques, comique de situation, photographies somptueuses, résumés bruts, jeux de lumières, retours à la réalité, comédie et drames.
Le spectateur se laissera emporter par la spirale rythmique sans pause d’1h58 aboutissant tout de même sans surprise au final.
Une hymne au lâcher-prise et une ode à la vie au travers d’une symbolique attendue également, le passage à l’acte (sexuel) et la perte de sa dernière dent de lait par Milla, juste avant de pouvoir conclure le livre de sa courte histoire qui se termine pourtant de la plus belle des manières.