S’il est une chose appréciable dans la politique de Netflix, c’est que le géant du streaming recrute de plus en plus ses jeunes réalisateurs au-delà du cercle restreint des pays anglo-saxons qui trustent les salles de cinéma dans le monde entier. Même si le choix de Netflix est de financer systématiquement le cinéma de « genre », et si les résultats sont des plus irréguliers, c’est un vrai plaisir que de pouvoir voir très vite de nouveaux films venant d’un peu partout. Ainsi en va-t-il de "Durante la Tormenta" (soit Pendant la tempête, ce qui est un titre beaucoup plus représentatif du film que l’anodin "Mirage" choisi pour la France), dernière réalisation du jeune scénariste – et de plus en plus souvent réalisateur – catalan Oriol Paulo, déjà repéré pour ses thrillers complexes et bien construits ("les Yeux de Julia", "l’Accusé").
"Mirage", film de scénariste, donc, est avant tout entièrement dédié au plaisir d’entraîner son spectateur dans une intrigue multiple et retorse, qui superpose un thriller traditionnel – la disparition d’une femme dans la maison d’en face, aux échos hitchcockiens indéniables – et jeux de l’esprit sur la trame – classique mais toujours excitante – des boucles temporelles. Il est sans doute malheureux que Paulo ait préféré essayer de justifier lesdites boucles à travers un phénomène météorologique improbable, ce qui place d’emblée le spectateur devant la décision difficile de le suivre ou pas sur des bases aussi fragiles (évoquant un peu, pour ceux qui s’en souviennent, un "Fréquence Interdite" datant de 2000) : il faut ensuite un peu de temps pour se passionner à nouveau pour le film, qui devient heureusement beaucoup plus surprenant qu’on ne l’imaginait au début.
Car finalement, l’angoisse et la frustration éprouvées par l’héroïne du film propulsée dans une nouvelle réalité (un thème déjà épuisé par les écrivains de SF classique depuis les années 50, on se souvient par exemple de ce que le génial Richard Matheson savait faire de ce genre de vertige existentiel) se révèle l’aspect le plus faible de "Mirage", et ce d’autant qu’Adriana Ugarte paraît le plus souvent en roue libre, ou tout au moins mal dirigée par un Paulo qui a dû consacrer plus de temps à peaufiner son script qu’à ses acteurs… Heureusement, l’intelligence de la double énigme que déroule patiemment le film, alimentée par un flux régulier de surprises malignes – et évitant le truc du « twist » désormais trop rebattu – nous absorbe de plus en plus : il est en particulier assez délicieux d’arriver à comprendre comment et pourquoi les deux temporalités ont divergé, sans même parler de la très belle conclusion romantique, qui offre aux protagonistes une alternative leur permettant résoudre tous les dilemmes et toutes les frustrations de leurs vies. C’est un happy end arraché il est vrai au prix de quelques (petites) invraisemblances, mais c’est une fin maline et généreuse, qui referme positivement un film qui s’apparenterait sinon à une simple accumulation de jeux de l’esprit, pour ne pas dire à une partie de Rubik’s Cube.
On ne peut que déplorer la mise en scène très anonyme de Paulo, qui reprend sans imagination les stéréotypes du cinéma populaire US, même si les références à un univers pavillonnaire américain typique de la SF et du fantastique des eighties (le "Poltergeist" de Tobe Hooper vient aussi à l’esprit…) sont clairement volontaires. On se réjouira cependant de la présence magnétique de Chino Darín, fils du grand Ricardo, qui n’a peut-être pas le talent de son père, mais dégage une belle présence. Une raison de plus de passer deux heures à se perdre dans ce labyrinthe délectable.
[Critique écrite en 2019]
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