Un nouveau film de Guiraudie, c’est la reprise d’un voyage dans des contrées aussi singulières que familières. On retrouvera cette ruralité puissante, où les hommes cohabitent avec une nature environnante qui les accueille, prolonge leurs sens et peut aussi les dévorer. On croisera de nouveau protagonistes en proie avec les élans de leurs désirs, des contradictions puissantes et la foi puissante dans l’amour du prochain, quel qu’il soit. Et on se laissera guider par les évolutions étonnantes d’une étrange comédie humaine, où le lyrisme ténue côtoie une satire tendre, jamais délaissée par l’amour sincère du cinéaste pour ses personnages.
Tous ces éléments dessinent la carte d’un cinéma unique et puissant (Voici venu le temps, L’inconnu du lac, Rester vertical…) qui parvient encore à surprendre avec Miséricorde, mélange de drame, de vaudeville, d’enquête et de récit initiatique mâtiné d’absurde. Dans ce retour au village natal par un trentenaire, rien ne rentre véritablement dans les cases : venu pour les funérailles du boulanger, le voilà qui s’installe chez sa veuve, et commence à tisser ou renouer des liens avec de nombreux habitants, sans qu’on sache s’il calcule ses coups, se laisse porter par ses désirs ou assiste lui-même à un déroulé improbable des événements.
Cette distance singulière provoque autant le rire qu’une légère tension, accentuée par des échanges dont on ne connaît jamais l’issue (étreinte ? violence ?). Toujours aussi passionné par le mystère du cœur humain, Guiraudie laisse exister ses personnages, dirige d’une main de maître ses comédiens (Félix Kysyl est magnétique, et Catherine Frot trouve très rapidement ses marques dans cet univers assez éloigné de son cinéma de prédilection), les écoute et filme avec un talent qui n’appartient qu’à lui les milieux dans lesquels ils échangent. La vieille pierre d’un village, les nuits opaques, l’humidité bruissante de la forêt, les brumes de l’aube. Dans ce hameau où la mort du boulanger mine le lien social, l’arrivée de Jérémie redéfinit l’amour du prochain, sans se départir de toutes les misères inhérentes au lien à l’autre, où la l’attirance le dispute à la jalousie, le désir à la haine et le silence à la peur.
Mais, loin de deviser dans un essai pontifiant sur les fragilités du cœur humain, Guiraudie se met au diapason de ses personnages, et laisse sa caméra suivre son désir de les connaître, de suivre leurs élans, sans pour autant prétendre pouvoir les comprendre. La figure récurrente du prêtre, qui surgit à tout endroit, distille quelques aphorismes en forme d’évangiles réadaptés, et laisse surtout son corps s’exprimer autant que son esprit, résume bien cette entreprise d’une grande humilité, où l’on rebat les cartes du récit traditionnel (difficile de déterminer quel événement relève de l’élément perturbateur ou de la péripétie) avant de dynamiter les principes moraux qui devraient l’accompagner. Un nouvel évangile, en somme, où les champignons participent autant à l’ébauche de sens qu’un prêche ou un regard silencieux. Un chant mystérieux où l’on pourra, sans nécessairement en formuler les raisons, craindre, rire, s’étonner et désirer.