Il y a du Georges Bernanos dans ce film d'Alain Guiraudie, que celui-ci a adapté de son propre roman, intitulé Rabalaïre (que je n'ai pas lu !). En effet, il y a comme théâtre de l'action, une commune isolée, située en Aveyron, sur laquelle le mal se diffuse comme une épidémie qui atteint, d'une manière plus ou moins importante pour chacun, une poignée de personnages habitant ce coin de France profonde. Il peut s'exprimer d'une façon frontale, mais, le plus souvent, il s'incarne avec ambiguïté, sans que l'on ait l'impression que tous les principaux concernés en soient pleinement conscients. On ne perçoit pas forcément leurs motifs, parce que, peut-être, certains d'entre eux ne les perçoivent pas eux-mêmes. Le seul qui paraisse savoir, c'est ce prêtre... mais je vais y revenir plus loin... aussi vaguement que possible.
En outre, dans une réalité tangible, de laquelle on est imprégnés, notamment par des repères géographiques précis (on n'est pas loin de Millau, le commerce le plus près se trouve à quinze kilomètres !), par des habitudes de consommation (le pain industriel duquel se contente une trop grande partie de la population, l'addiction aux écrans du fils d'un des personnages secondaires, le pastis, l'apéritif, la cueillette des champignons !) par des détails sur le quotidien professionnel (aller au travail pour cinq heures, le prêtre qui est obligé d'exercer dans plusieurs paroisses du département, l'obligeant à faire parfois de longues distances, les longs trous dans le CV !), dans des intérieurs et des extérieurs d'une grande authenticité (je ne pense pas qu'il y ait le moindre plan tourné en studio, avec une multitude d'objets familiers et modestes... le genre que l'on trouve en vente dans les Emmaüs !), détail bien bernanosien, l'étrange peut y faire irruption (cela m'a rappelé mes lectures de Monsieur Ouine ou d'Un crime !).
Que ce soit par ce gendarme qui peut aller partout, à n'importe quelle heure du jour ou de la nuit, sans rencontrer d'obstacle physique pour l'en empêcher. Ou ce prêtre ange-gardien (figure inoubliable !) qui a la capacité incroyable, quasi surnaturelle, d'être toujours là au bon endroit, au bon moment, pouvant aussi bien revêtir les habits du bien que ceux du mal, selon les points de vue.
Toute cette galerie de caractères est animée par le désir (grande thématique du réalisateur : l'homosexualité est très présente !). Tous les personnages n'arrivent pas à l'assumer et à l'exprimer, si on fait abstraction du prêtre.
Ouais, ce film a l'apparence d'un thriller, mais du fait qu'il ne soit pas toujours évident de saisir l'intériorité, non seulement du protagoniste, que l'on suit constamment, mais aussi des êtres qu'il croise, il se prête facilement à l'interprétation. Cela peut rendre aussi certaines réactions et agissements imprévisibles. C'est le genre de long-métrage sur lequel, à travers le moindre de ses détails, on ne se déplaît pas à réfléchir, bien après l'avoir visionné.
Seule petite réserve globale, purement formelle, le numérique (outil qui a la fâcheuse habitude de trop aplanir et d'affadir les couleurs !) ne rend pas pleinement hommage à la beauté des cadres rugueux, rupestres, froids et automnaux dans lesquels s'agitent les personnages. Je n'ose même pas imaginer le plaisir esthétique que Miséricorde aurait été avec de l'argentique. C'était mon instant "vieux con qui affirme que c'était mieux avant !".
Par contre (et je vais conclure sur cette belle note positive !), la distribution, ne comprenant aucun visage connu (à l'exception de Catherine Frot, qui se fond, aussi naturellement que les autres, dans l'ensemble !), est parfaitement choisie. Tous les interprètes sont excellents. Mentions spéciales à Jean-Baptiste Durand (qui, pour l'anecdote, n'est autre que le réalisateur et scénariste du très bon Chien de la casse !) qui instaure une présence menaçante et malaisante en très peu de temps, et à Jacques Develay, en prêtre fascinant, provoquant bizarrement la sympathie.