Du cinéma, mais du très bon cinéma

Quand on parle de Miséricorde, il faut tout de suite évacuer les notions de vraisemblance, de réalisme, de crédibilité. C’est un film, du cinéma, un divertissement. Il faut accepter les nombreuses invraisemblances rencontrées durant ces 102 minutes.

Après, Miséricorde est un film policier (si l’on veut) et également une comédie noire. C’est un film complètement immoral, transgressif, iconoclaste (Guiraudie prend plaisir à briser les clichés) et souvent drôle. C’est aussi un film qui s’adresse à l’intelligence du spectateur. Et un beau film esthétiquement parlant. La campagne aveyronnaise est magnifiquement filmée ; son atmosphère et celle du village dans lequel se déroule en grande partie l’histoire sont très bien rendues. Les forêts, les arbres moussus et parfois majestueux, les souches énormes, l’automne, les champignons, les feuilles mortes, la pluie, le vent, la nuit, l’atmosphère nocturne, l’inévitable hululement de la chouette, tout ça nous emporte au cœur du Rouergue, nous le fait aimer et, sur ce plan, le film est parfaitement réaliste.

En revanche, le drame qui se déroule dans cet environnement de paradis perdu, on le suit, on s'y intéresse... sans vraiment y croire, je veux dire : en ayant parfaitement conscience qu'on est dans un monde fictif de cinéma. Guiraudie nous raconte les hommes et les femmes, leurs passions, leurs désirs, tels qu'il les pense, tels qu'il les voit. Et c’est drôle et macabre à la fois. Il y a un boulanger qu’on enterre, sa veuve Martine qui redoute, on la comprend, de rester seule dans ce bled qu'est Saint-Martial, un ancien apprenti boulanger (Jérémie) parti à Toulouse mais revenu pour l’enterrement et à qui l'ex-boulangère offre pour la nuit la chambre inoccupée de son fils, lequel s'étant marié, habite désormais en dehors du village mais voit d’un fort mauvais œil que sa mère permette à l’ancien apprenti de s’incruster dans la maison familiale (où, sinon, elle vivrait seule), comme s'il envisageait de se substituer au récent défunt. Et puis il y a le curé du village et de la région, l’abbé Grisolle qui, quand l’histoire prend tournure et dégénère, devient un de ses personnages principaux.

C’est, je me répète et vous préviens, une comédie noire, pince-sans-rire, transgressive, parfaitement scandaleuse et, bien sûr, mûrement réfléchie. On y trouve des scènes étonnantes (par ex. quand l’abbé se confesse à Jérémie) ou remarquablement dialoguées (quand le même abbé convainc son "confesseur" au bord de l’abîme de ne pas s'y jeter), pour ne citer que celles-là. Et le film est joué avec beaucoup de naturel par Félix Kysyl (Jérémie), Catherine Frot (Martine, la veuve), Jean-Baptiste Durand (son fils, qui jalouse Jérémie), Jacques Develey (l’abbé Philippe Grisolle) et David Ayala (Walter, que Jérémie, soi-disant éméché, ne parvient pas à séduire).

Ai-je été convaincant ? En tout cas, pour moi, Miséricorde est un bon et beau film, à ne pas rater, et Alain Guiraudie un des quatre ou cinq plus grands réalisateurs français actuels.


Créée

le 5 nov. 2024

Critique lue 38 fois

6 j'aime

Fleming

Écrit par

Critique lue 38 fois

6

D'autres avis sur Miséricorde

Miséricorde
Plume231
7

Sous l'automne de Satan !

Il y a du Georges Bernanos dans ce film d'Alain Guiraudie, que celui-ci a adapté de son propre roman, intitulé Rabalaïre (que je n'ai pas lu !). En effet, il y a comme théâtre de l'action, une...

le 17 oct. 2024

41 j'aime

2

Miséricorde
Moizi
8

Gare aux morrriiiilllles

Je n'ai jamais été déçu par Alain Guiraudie et ce n'est pas par ce Miséricorde que je vais commencer. C'était sans doute le film que j'attendais le plus en 2024 (avec l'Empire) et qui a pris son...

il y a 2 jours

32 j'aime

Miséricorde
EricDebarnot
7

La loi du désir

Il est amusant de voir Miséricorde aussi rapidement après Quand vient l’automne, même si l’on se doute bien que Guiraudie va nous entraîner sur des chemins bien plus « turgescents » qu’Ozon. Mais...

le 19 oct. 2024

27 j'aime

5

Du même critique

Le Sommet des dieux
Fleming
7

Avec la neige pour tout linceul

J'ignore à peu près tout des mangas. Je n'aime généralement pas les films d'animation, les dessins retirant, selon mon ressenti, de la vérité au déroulement filmé de l'histoire qu'on regarde. Et je...

le 25 sept. 2021

37 j'aime

19

Amants
Fleming
5

On demande un scénariste

J'ai vu plusieurs films réalisés par Nicole Garcia. Le seul qui me reste vraiment en mémoire est Place Vendôme que j'avais aimé. Elle, je l'apprécie assez comme actrice, encore que je ne me souvienne...

le 17 nov. 2021

33 j'aime

16

BAC Nord
Fleming
6

Pour les deux premiers tiers

Les deux premiers tiers du film sont bons, voire très bons, en tout cas de mon point de vue. J'ai trouvé ça intéressant à regarder et à suivre. Et même passionnant. Est-ce outrancier ? Je ne connais...

le 17 août 2021

33 j'aime

19