Hara-kiri.
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Paul Schrader, le réalisateur de "Blue Collar" sur la classe ouvrière américaine et la difficile union des forces en syndicat multiculturel qui s'essaie au biopic sur une figure phare du nationalisme japonais, forcément, il y a de quoi attiser la curiosité. Mais réduire Yukio Mishima à cet unique aspect politique serait bien réducteur à l'égard de l'écrivain dont les romans, pièces de théâtre et essais jalonnent "Mishima" comme un ballet en trois temps. Un personnage hautement atypique, grand amateur de littérature française, adepte de la musculation et des arts martiaux, dont l'œuvre est empreinte de souffrance, de pessimisme et d'homosexualité — latente, on le comprend bien, dans le Japon des années 60 dont il se protègera en adoptant une vie de famille bien normée. Marguerite Yourcenar dira plus tard, dans les années 80, que sa mort par seppuku en 1970 fut l'une de ses œuvres, et au-delà de cela, son œuvre la plus soigneusement préparée.
C'est d'ailleurs l'une des nombreuses facettes de cette biographie non-conventionnelle et fragmentée : le dernier jour de la vie de Mishima constitue en quelque sorte le fil conducteur du film de Schrader qui déroule plusieurs fils entremêlés, portrait kaléidoscopique de sa vie d'artiste haute en couleur autant que de son enfance en noir et blanc. Une figure éminemment controversée de la culture japonaise, dont les paradoxes forment une myriade de points saillants, et dont l'idéal de pureté mêlé à un mal intérieur et une chute presque inexorable semblent alimenter une puissante passion chez Schrader. En partant de l'engagement de Mishima dans les Forces japonaises d'autodéfense (avant de former la milice privée Tatenokai, "la société du bouclier" destinée à assurer la protection de l’empereur) qui conduiront à une prise d'otage dérisoire et à son geste sacrificiel, "Mishima" se lit moins comme un biopic classique que comme un essai sur la signification de son suicide et une interprétation non-chronologique de trois temps de sa vie selon trois tonalités et trois esthétiques différentes (enfance & biographie, écriture & stylisation, accès putschiste & semi-documentaire). La musique de Philip Glass s'accorde à ce titre très bien aux expérimentations visuelles baroques et aux élans existentiels de Mishima.
On peut reconnaître à Paul Schrader un certain tact (voire pourquoi pas un certain talent) dans le portrait absolument pas caricatural ou univoque qu'il est parvenu à dresser de cet écrivain, presque contemporain du film, adepte d’un culte démesuré pour l’empereur et grand nostalgique de la splendeur du japon impérial. Le réalisateur américain paraît entièrement absorbé par cette figure d'extrême-droite porteuse de contradictions, qu'il aborde comme un emblème de tout ce que le Japon contiendrait comme ambigüités. Le format parfois très abstrait que le film adopte peut se révéler rebutant, notamment dans sa recherche un peu trop systématique de la sophistication formelle lors des séquences d'illustration des romans. Il y a une forme d'hermétisme dans la fascination de Schrader — ainsi que celle de Mishima — qui peut rendre difficile la pénétration de l'intimité d'un tel personnage. Mais cet ultime geste d'éviscération, que l'on sent venir de très loin, comporte une part non-négligeable de vertigineux. Un anéantissement presque détaché, en réponse à l'incompréhension de la majorité de ses semblables militaires (" j'ai perdu le rêve que j'avais de vous", dira-t-il à la foule qui le conspue), qui débouche sur le vide. Le mélange des formes et des temporalités, bien qu'abscons par moments, constitue une matière troublante et fascinante qui file vers la beauté tragique de ses derniers vers : "À l'instant où la lame déchira ses chairs, le disque du soleil explosa derrière ses paupières, illuminant le ciel pour un instant."
http://je-mattarde.com/index.php?post/Mishima-de-Paul-Schrader-1985
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Créée
le 3 août 2020
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