Le problème lorsqu'on entreprend l'écriture d'un biopic, c'est qu'on s'ajoute automatiquement la contrainte de devoir respecter le plus gros cahier des charges possible : respecter la vérité.
Alors comment créer une histoire de divertissement autour d'un scandale où après consultation, ni les médias, ni les parties ne racontent la même version ? Le scénariste Steven Rogers tranche par une méthode simple, déjà choisie par d'autres très bonnes œuvres avant lui (Ryan Murphy pour l'affaire O.J. Simpson dans American Crime Story) : il ne tranche pas. Il va jouer autour.
Je n'avais jamais entendu parler de Tonya Harding. Je n'étais donc pas aux faits de l'histoire. Et ça ne fait rien, pour la simple raison qu'encore aujourd'hui, personne ne la connaît. Alors, Rogers écrit le film en mélangeant les réalités, en laissant le spectateur y tirer ses conclusions, trouvant ainsi le ton du film au passage : une sorte de dramédie sous forme de mocumentaire méta, et en profite surtout pour y amener la morale qu'il voit à cette histoire. Une morale que l'on peut beaucoup (trop) rattacher à l'Amérique actuelle : des inégalités de chance, une violence domestique normalisée, la recherche des fameuses "15 minutes de gloire" et la toxicité des médias. Oui, malgré la playlist rétro agréable, à aucun moment dans le film les événements nous semblent improbables en 2018. Ce qui est quand même assez tragique pour un prétendu film léger.
A ceux qui trouveront le propos général du film raconté en voix-off et appuyé par des regards caméra grossiers (ce qui est certes indéniable), comme lors de sa fin peu subtile : n'oubliez pas que la manipulation d'une vie par l'image, c'est toute la thématique du film. L'image que les autres se font d'elle façonnent la petite Tonya dès son enfance, l'image que les médias font de Tonya manipule la foule de l'époque, et les images de Tonya que nous montrent le film nous manipulent et romantisent la situation. Ce que le film ne cache aucunement, et qui le rend assez génial, en tout cas à mes yeux. Son histoire est tragique. Le film ne la condamne pas, mais ne la légitime pas : il ne fait que la montrer, dans toutes ses ambiguités.
Un exemple précis où je vais revenir sur une scène qui spoile les événements pour illustrer mon avis (si vous aussi ne connaissez pas l'histoire et préférez découvrir le film sans connaître les événements, ne lisez pas ce qui suit - et revenez lire ce passage de ma critique après avoir vu le film, tiens) :
la version de Tonya sur l'incident avec Nancy. Selon ses dires, Nancy et elle étaient de vraies amies, donc, elle ne pouvait pas savoir, car comme elle l'explique :
I mean what kind of friggin' person would bashes in their friend's knee? Who would do that... to a friend?
Seulement voilà, l'image vient de nous montrer un montage ponctué de rires entre copines, mais quelle preuve a-t-on de leur prétendue amitié ? Absolument aucune, d'ailleurs, elles ne se reparleront jamais du film. L'image vient de nous manipuler. Mais l'a-t-elle fait dans le but d'enjoliver la version de Tonya dans une optique Hollywoodienne ? Pas du tout. Si l'on considère la construction de sa phrase, Tonya implique qu'il faudrait qu'elle soit bien son amie pour que le crime soit inenvisageable. Or, en prenant du recul, on ne le sait pas. Ça pourrait tout aussi bien être un aveu, même. Margot Robbie l'a d'ailleurs très bien compris dans sa légère pause avant d'insister sur "to a friend" : en un silence et un regard, elle véhicule tout le message du film, et prouve d'ailleurs qu'elle a totalement investi le personnage et mérite sa nomination aux Oscars. Bref, un très bon exemple d'une scène en apparence aussi subtile qu'un éléphant, qui cache pourtant une véritable recherche au-delà des faits et une volonté de faire un film historique avec du fond.
Si Margot Robbie va chercher loin son Oscar, elle serait ferait presque voler la vedette par Allison Janney qui incarne une mère trop clichée pour être vraie, tant détestable qu'hilarante. Mais tout comme le portrait de l'enquête (limite parodique), du garde du corps ou du mari : c'est léger en apparence, mais ça n'implique pas que les sujets derrière soient dédramatisés. Au contraire, l'absurde de la situation serait léger et sans fond seulement si l'histoire relevait de la fiction... Or, comme nous le montre les extraits de la vie réelle lors du générique de fin : ces énergumènes sont de vrais citoyens américains (et oui, ça fait peur).
La réalisation est un peu classique voire faible - je ne suis jamais fan des caméras tremblantes, qui ont ici mal retranscrit la pureté et la beauté des performances de patinage de la vraie Tonya Harding - le contraste avec le générique est flagrant. Mais le montage reste ingénieux et n'ennuie jamais. Et le plus important reste le travail d'écriture : autant en termes d'exposition et de propos, le film nous prend volontairement par la main, autant en termes de caractérisation et dosage des personnages et de questionnement des événements, c'est parfait.
Si le film nous invite à approfondir nous-même la question de la vérité et traite son sujet en or avec soin, il reste également un biopic avant tout, nous apprenant à connaître Tanya Harding, et nous rappelle également que ce n'est pas tant de savoir la vérité qui compte, mais de connaître les personnes qu'elle concerne, leurs passions et les conséquences qu'elle entraîne. Un beau message universel d'art, sur la glace comme dans un film.