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Le hasard fait sarcastiquement bien les choses quand, le 21 février 2018, en pleins Jeux Olympiques d’hiver, sort en France Moi, Tonya, une comédie dramatique réalisée par Craig Gillespie et narrant l’histoire terrible mais vraie de Tonya Harding, patineuse artistique peu conventionnelle ayant tout de même représenté deux fois les Etats-Unis aux J.O. (en 1992 et en 1994).


Alors que Margot Robbie, interprétant la patineuse, est nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice, penchons nous sur ce biopic survolté et voyons ce qu’il vaut !


Moi, Tonya se base sur les témoignages « dénués d’ironie et hautement contradictoires » (selon le carton de début de film) de Tonya Harding, son ex mari, sa mère, son ancien garde du corps et un journaliste. Ces témoignages sont recréés dans le film, on voit les personnages s’adresser à la caméra et commenter l’histoire qui se déroule sous nos yeux. Le premier parti pris narratif est donc le suivant : tout le monde a sa version des faits qui l’arrange plus ou moins et probablement qu’aucune n’est vraie. Le film se débarrasse donc intelligemment de l’attente de vérité que le public a vis-à-vis des biopics. Les faits sont majoritairement représentés du point de vue de Tonya, mais les interventions des autres personnages et les occasionnels changements de point de vue approfondissent la narration et servent une part du propos du film : la vérité est subjective, l’histoire n’existe que dans la tête de ceux qui la racontent et à la fin vous croyez ce qu’on vous dit, vrai ou faux (le lien est ici à faire avec le traitement médiatique délirant de l’affaire à l’époque). De plus les personnages commentant les incohérences et les inconsistances de l’histoire permettent de brillants moments de comédie absurde.


Moi, Tonya, au delà de cette fantaisie narrative, est un film incroyablement dur sur l’injustice, l’hypocrisie de la société américaine et la violence. C’est l’histoire d’une « redneck » qui veut réussir dans un milieu typiquement bourgeois : le patinage. Le film critique la société de classes de « La Grande République Américaine« , qui glorifie en apparence la méritocratie mais où le mérite de Tonya ne suffit : elle n’est simplement pas bien née. La violence est partout dans Moi, Tonya. La société est violente avec Tonya, ne lui accordant pas la réussite qu’elle mérite et la renvoyant toujours à son statut social; mais surtout son entourage est violent. Tonya passe d’une mère brutale et cruelle à un mari qui la bat.


Moi, Tonya, c’est l’ultime critique du rêve américain : peut-être que le self made man existe, mais pas la self made woman. Humiliée, méprisée, constamment victime de la stupidité des hommes et des femmes qui l’entourent et violentée par tous ceux qui partagent sa vie. Le film semble d’ailleurs étonnamment léger sur le sujet des violences conjugales mais cette légèreté fait partie du propos. En effet elle représente une banalisation absolument terrifiante de ces comportements odieux aux yeux du personnage qui n’a jamais connu que ça. Une société de classes, une immobilité sociale, une brutalité au quotidien et la poursuite éternelle d’un succès bien mérité et pourtant impossible à atteindre. Voilà le triste portrait de l’Amérique dressé par ce film qui cherche bien plus loin que le divertissement.


Pourtant Moi, Tonya est une comédie vraiment drôle, et ce grâce à des dialogues cinglants et à des personnages grotesques parfaitement interprétés par un casting de choix. Bien évidement Margot Robbie porte le film avec sa présence et sa performance admirable, incarnant la transformation du personnage de son adolescence à la fin de sa carrière (et même après). Sebastian Stan (Bucky dans le MCU) et également excellent en américain moyen bas, gros nul incapable de faire quoi que ce soit bien. Enfin Allison Janney incarne le mère de Tonya, un personnage à la fois terrible et absurde, absolument excessif mais qu’elle réussit malgré tout à rendre crédible.


Le principal ressort comique du film, qui vient surtout des autres personnages comme le « garde du corps » faux espion de Tonya et ses deux hommes de main, c’est la nullité ambiante. Personne n’est bon, personne ne réussit jamais rien, tout le monde dit toujours n’importe quoi, et pourtant ils sont persuadés de manigancer à la perfection et de tenir un discours brillant. S’il est possible d’y voir une vision malheureusement misérabiliste des « rednecks », on choisira de le prendre comme une caricature de l’Amérique profonde et des opportunistes et ambitieux entourant les personnalités publiques.


Le film s’accompagne d’une bande-son jouissive, reprenant surtout de mémorables morceaux de musique pop des années 70/80 comme Devil Woman de Cliff Richard, The Chain de Fleetwood Mac ou encore Sleeping Bag de ZZ Top. Cependant, si cette forte teneur musicale est globalement appréciable, ils sont utilisés jusqu’à l’excès. Par moment le film semble juste être un très long clip pour une playlist nostalgique. Ce n’est cependant pas grand chose, juste une impression un peu désagréable mais passagère. On apprécie donc la musique mais on aurait préféré plus de mesure et de subtilité dans son utilisation.


À la réalisation, Craig Gillespie fait également du très bon travail. La majorité des scènes sont filmées en caméra épaule, ce qui donne un aspect documentaire, et très proches des personnages, surtout de Tonya qu’on ne lâche presque jamais, pour susciter l’empathie ou son contraire. Quelques plans séquences vraiment tendus et des petites excentricités visuelles, par exemple lors des scènes de patinage, viennent agrémenter tout cela. Le film est parfaitement rythmé, il n’y a aucune longueur, on ressent parfaitement la vitesse de cette ascension fulgurante vers le succès qui se révèle n’être en fait qu’une chute déguisée dans la violence, le malheur et la disgrâce.


Moi, Tonya est une critique acerbe de la société américaine et du monde médiatique enveloppée dans une comédie dramatique saisissante filmée avec brio. Margot Robbie porte le film avec sa performance irréprochable. Le tout est rythmé parfaitement et accompagné d’une soundtrack jouissive. C’est un biopic satirique drôle, méchant, malin, sans pitié et survolté à ne surtout pas bouder.

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