Tout ou rien...
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Attention, film expérimental. Je ne prétends pas avoir tout compris, mais donnez-lui sa chance, à ce film.
Une scène de théâtre, où l'équipe de tournage de Manoel de Oliveira répète Mon cas, une pièce. Un individu agité entre, se dirige vers le public, prétend vouloir instruire l'humanité de son cas, mais il va être constamment interrompu par l'irruption d'autres individus. D'abord le préposé à la porte, qui le supplie de sortir pour ne pas lui faire perdre son emploi alors qu'il est chargé de famille. Ensuite l'actrice principale, une garçonne années 20, qui effeuille une marguerite en déroulant la situation initiale d'une pièce à la Feydeau : elle hésite entre un beau jeune homme et un riche. Elle s'en prend au portier en voyant l'intrus. Puis survient l'auteur, avec le reste de la troupe. Des désaccords surgissent au grand jour, l'actrice trouve la pièce médiocre mais veut l'utiliser à son avantage. Enfin, un spectateur monte sur scène et en appelle aux autorités : le public vient pour oublier ses soucis, pourquoi le faire venir pour assister à un tel chaos ? Enfin le rideau tombe, malgré les protestations de l'intrus. Et nous en sommes à la 30e minute.
La même pièce recommence, mais cette fois en noir et blanc, avec le rythme saccadé du muet. Le jeu est plus expressif, mais une voix off raconte d'un ton funèbre l'histoire d'un homme qui se suicide par noyade.
On recommence encore, cette fois de manière assez frénétique, dans un décor aux couleurs criardes, et surtout, les acteurs prononcent leur texte à l'envers. Vers le dernier tiers, un rideau s'ouvre au fond et projète des images d'actualité atroces (fusillade au poteau, enfants africains squelettiques, rejet de déchets industriels dans la mer). Puis Guernica tombe du plafond.
Le rideau tombe encore. Un décor apocalyptique, des carcasses de voitures, un pylône électrique, un bidon qui fume. Cette fois, l'intrus joue le personnage de Job, l'actrice sa femme, et trois anciens amis de Job vont déclamer des tirades l'accusant d'avoir pêché, puisque Dieu l'a puni. Job en vient à maudire Dieu, en se savant juste. Alors Dieu se manifeste, et Job se prosterne devant lui. Ses trois amis doivent lui apporter des bêtes en pénitence, et Dieu le rétablit dans son ancienne fortune. On voit enfin Job trônant au milieu d'un décor de ville italienne de la Renaissance. Il a une riche descendance, des jeunes filles tournent autour de lui en lui jetant des fleurs. Deux d'entre elles apportent une reproduction de la Joconde. La caméra fait un travelling arrière, révélant que tout cela est une scène de théâtre. On finit sur le sourire de la Joconde.
J'ai bien aimé la première partie, où les acteurs jouent de manière outrée, avec un évident effet de distanciation. Bulle Ogier en diva, Axel Bogousslavsky en employé geignard sont savoureux. La comparaison avec la deuxième partie, où les relations entre les personnages passent davantage par les mimiques, le placement, les gestes, était très intéressant. La troisième partie m'a laissé perplexe, mais ce truc des paroles prononcées à l'envers est utilisé quatre ans avant Twin Peaks, quoiqu'ici non pour instaurer une atmosphère inquiétante, mais pour donner un effet d'absurde. Pari risqué, car écouter des acteurs prononcer du charabia pendant 20 minutes relève d'un sacré culot. Enfin, la dernière partie, avec le maquillage outrancier de Job, couvert de bubons, le dénuement extrême, très studio, de la mise en scène, la longueur des monologues, a fini de me perdre, et de faire basculer à mon sens le film dans le kitsch. Ce n'est cependant pas dénué de grandeur, la diction des acteurs est excellente (Ogier : "Tu persistes encore... Tu es un rat !" Bogousslavsky, avec un regard caméra pénétré : "Un rat !").
Déteste-je pour autant ce film ? Que non pas. Je n'en ai pas compris les tenants et aboutissants, je m'en moque gentiment, mais sans condescendance. Disons que chaque partie a quelque chose à offrir, mais que l'ensemble, avec pour seule transition la chute de panneaux représentants des masques de tragédie et de comédie, échappe à la synthèse, du moins pour un esprit aussi peu poussé à la spéculation que le mien.
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Créée
le 19 oct. 2015
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