Voilà le titre original de ce documentaire de Kevin Macdonald, qui résume autrement mieux l'idée principale du film que le très mauvais titre français qui ne veux pas dire grand chose.

En effet, Klaus Barbie n'est peut-être ici qu'un prétexte pour évoquer une question plus importante aux yeux de l'auteur, à savoir le recyclage d'anciens nazis et de criminels de guerre par les Américains pour les utiliser dans leur lutte contre le communisme, dans le contexte de la guerre froide.

Le tout début du documentaire fait craindre le pire au spectateur : une succession de nombreuses images d'archives, sur un rythme très rapide, et en parallèle à un récit en voix off rend cette introduction difficile à suivre, car il est impossible de regarder ces images et de les comprendre, sans même vouloir les analyser, et d'écouter en même temps la voix off. Il faudrait faire une pause à chaque image pour bien comprendre ce qui nous est montré. Ce début est donc plutôt confus, mais heureusement, le rythme des images proposées devient soutenable par la suite.

Autre déception, on n'apprend quasiment rien de l'enfance de Barbie et de son parcours dans les années 30, ce qui est quand même dommage, et on arrive très vite à la Seconde Guerre mondiale, mais l'action de Barbie durant cette période, dans l'ensemble bien connue, est traitée de façon beaucoup trop succincte et confuse. Macdonald évoque évidemment l'affaire Jean Moulin mais de façon très brève, à mon avis beaucoup trop. Idem pour l'affaire des enfants d'Izieux, certes bien connue aussi, mais bâclée.

Mais tel n'est pas le propos de l'auteur : il ne s'agit pas de faire une biographie documentée mais de retracer le parcours d'un homme, la fidélité de ses engagements et surtout son utilisation par les Etats-Unis, Barbie étant l'ennemi de l'ennemi des Etats-Unis durant la guerre froide, à savoir l'URSS et le communisme de façon plus large.

En effet, dans le cadre de la fin des années 40 en Europe et de la montée des tensions entre les Américains et leurs alliés et l'URSS et ses satellites, des gens comme Klaus Barbie ont pour les Américains l'intérêt de bien connaître les communistes allemands, et de pouvoir être des agents facilement manipulables au service de la lutte anticommuniste.

Et c'est là que le documentaire devient plus intéressant, et plus original, même si à mon avis l'auteur ne va pas assez dans les détails. Barbie, réfugié en Allemagne de l'Ouest, va être employé par le CIC, le service de contre-espionnage militaire américain, et participer au montage des cellules stay-behind qui étaient des groupes paramilitaires dormants prêts à intervenir en Europe de l'Ouest contre une éventuelle invasion communiste. Les Etats-Unis ont donc protégé, financé et utilisé Barbie avant qu'il ne soit exfiltré en Bolivie en 1951 par le réseau Ratlines afin de le soustraire à la justice française.

Commence alors une troisième période pour Barbie qui va se mettre au service de l'extrême-droite sud-américaine, notamment en Bolivie où il va participer à trois coups d'Etat visant à amener au pouvoir des militaires farouchement anticommunistes, là aussi, avec l'aide des Etats-Unis. Il organise notamment un trafic d'armes, dirige la section bolivienne du WUNS l'Union mondiale des nationaux-socialistes, et aurait même participé à la traque de Che Guevara.

Le documentaire s'achève logiquement par l'évocation du procès de Barbie à Lyon, après son expulsion de Bolivie. Macdonald utilise évidemment les propos de Jacques Verges, l'avocat de Barbie, à l'appui de sa thèse, lorsque Verges affirme que ce procès est instrumentalisé par Mitterrand pour se refaire une virginité après son passé vichyste, que la France est mal placée pour juger Barbie alors qu'elle a été coupable de crimes aussi odieux durant la guerre d'Algérie, ou encore que c'est la France qui a choisi d'envoyer des Juifs en Allemagne. Toujours le même thème de l'utilisation de Barbie, même si c'est ici un peu différent, par un Etat manipulateur et moins innocent qu'il ne le proclame. C'est peut-être ici un peu plus discutable, mais ce n'est pas inintéressant.

De nombreux témoignages viennent étayer le propos de l'auteur : des victimes de Klaus Barbie, des résistants, des historiens, des journalistes, une femme politique américaine, la fille de Barbie, Serge Klarsfeld, Jacques Verges ou encore Robert Badinter.

Mais au final, ce documentaire n'est pas vraiment une biographie du "boucher de Lyon", ou alors, elle serait extrêmement incomplète, car il manque de très nombreux éléments, et notamment tout ce qui pourrait permettre de comprendre les actes et la psychologie de cet homme.

C'est une œuvre politique qui affirme dénonce l'attitude des Etats-Unis durant cette seconde moitié de vingtième siècle et qui affirme que la fin ne doit pas justifier les moyens. Une réflexion plus qu'une démonstration.

Une œuvre faite pour le grand public, très générale, qui n'apprendra pas grand chose aux passionnés d'histoire et les décevra sans doute, mais qui a le mérite de pointer la question de l'attitude cynique d'Etats souvent donneurs de leçons mais qui pratiquent parfois des actes contradictoires avec leur philosophie générale, afin d'atteindre leurs objectifs...
socrate
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le 16 juin 2011

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