« Finir est souvent bien plus difficile que commencer »



  • Dis p’pa, comment il a fait le monsieur ? J’ai entendu qu’un seul coup d’feu !

  • Hey ! Question de vitesse mon p’tit.

  • Dis p’pa, tu crois qu’il y a au monde quelqu’un de plus rapide que lui ?

  • Plus rapide que lui ? … Personne.




On rencontre quelques fois son destin sur la route qu’on a pris pour l’éviter.



Mon nom est personne est un western symbolique produit et scénarisé par Sergio Leone qui a confié la réalisation à son élève et suppléant Tonino Valerii. Une œuvre atypique importante pour le genre en tant que western italien testamentaire sous fond de fin de conquête de l'Ouest. Un far west perspicace, intelligent et drôle porté par une mouvance métaphorique qui dresse un message profondément humain sur les rouages d'un vieux monde qui à travers l'accroissement trouve la mort. Un contexte allégorique savamment orchestré autour d’un bouleversement, celui du vieil Ouest qui devient un pays moderne où prennent les valeurs du capitalisme américain. Une transformation représentée dans le film par l’avancée du chemin de fer dans le désert. Il y a ceux qui s’adaptent à ce nouvel ordre de choses, et ceux qui appartiennent définitivement au monde qui est en train de disparaître. Une profondeur scénaristique impeccable pour une histoire complexe et nuancée sur la clôture d'une époque fantastique. Ce film valdingue l'histoire traditionnelle du cowboy made in italien, en mélangeant adroitement le sérieux à l'humour pour un résultat étonnamment crédible et robuste. Un équilibre étrange dans lequel on est pris par un suspense déstabilisé de grands éclats de rire, pour être la séquence suivante écrasée par une ambiance beaucoup plus radicale.


Un récit qui s'exclue d'une direction codifiée avec des intrigues et des personnages qui focalisent la construction dramatique autour d'un duo peu commun avec " Personne (Terence Hill) ", un jeune cowboy imprévisible, fantasque, débrayé avec du bagout; face à un pistolero expérimenté, impassible, charismatique, soignée et droit dans ses bottes, " Jack Beauregard (Henry Fonda) ". La rencontre d'une figure héroïque du far west avec un parfait bouseux inconnu au bataillon. L'un en quête d'un dernier contrat afin de pouvoir prendre une retraite paisible après des années d'affrontements qui l'ont usé; l'autre animé d'un esprit fougueux, heureux et enjoué envers Beauregard, qui est en réalité son idole. L'objet d'une tendresse et d'une admiration passionnée jusqu'au culte d'adoration, qui va pousser Personne à offrir une fin digne à son héros de toujours en le confrontant à la Horde, dans un combat légendaire à "1 contre 150", pour le faire à jamais rentrer dans les livres d'histoires. Seulement, Beauregard a les pieds sur terre et ne l'entend pas de cette oreille, bien décidé à profiter d'une retraite méritée. Dès lors, une confrontation idéologique d'une pertinence rare se met en place entre les deux hommes, et le mélange des deux personnalités diamétralement opposées ne va pas faciliter les choses. Idée intéressante que celle d’une confrontation générationnelle qui à défaut d'être contractualisé pour évoluer doit laisser s’établir une société dans laquelle chaque génération serait un loup pour l’autre qu'il faudrait domestiquer, ou abattre. L'ordre des choses voulant que le plus fort dévore le plus faible; mais dans une logique portée par Sergio Leone, rien n'est jamais simple. 


Terence Hill sous les traits de Personne est impertinent à souhait ! Sous son irrespect nonchalant se cache un enfant ayant grandi avec ses héros qu'il ne veut pas voir disparaître au nom de la postérité, d'où son affection respectueuse pour "Jack Beauregard", qu'il s'accapare totalement au détriment de Jack Beauregard lui même. L’obsession maladive d'un admirateur qui pour se rapprocher de sa star préférée va crever la bulle du sacré fantasmique pour se retrouver au cœur de l'action. Une approche qui aurait pu virer au drame avec un fan qui va trop loin, mais malgré sa désinvolture, Personne est plus intelligent et plus philosophique qu'il ne le laisse présager. Un grand adolescent qui vit ce que tout fan rêverait en bravant la sphère du sacré fictionnel, mais qui possède bien trop de respect pour son idole pour lui voler la vedette. Personne c'est l'illustration d'un fan qui se retrouve scénariste de son œuvre préférée qu'il veut porter au bout par le biais d'une ultime aventure incroyable, qu'il veut regarder en première ligne. Un personnage fantasque, libre comme l'air qui sous sa frivolité d'esprit cache une gâchette rapide comme l'éclair mais incontrôlable. Une pile électrique qu'on ne peut plus stopper et qui tire à tort et à travers pour épater la galerie. Terence Hill offre un modèle épatant qui vient contraster le modèle psychologique du justicier de l'Ouest.

Henry Fonda en tant que Jack Beauregard incarne son rôle avec une précision chirurgicale. Le comédien offre une belle performance en tant que pistolero légendaire âgé et fatigué qui veut juste quitter l'Ouest sauvage pour naviguer dans un endroit paisible et beau que l'Europe pourrait lui apporter. Une figure mythique du héros de western en tant que "cowboy solitaire", qui brave le ciel couchant et les grands espaces désertiques pour se confronter à la vermine et sauver la veuve et l'orphelin. Une figure que ne veut pas voir disparaître Personne, seulement derrière la légende se cache l'homme et le réel. Un vieux cowboy l'as des tueries qui ne rêve que d'abandonner son colt pour vivre avec insouciance. Une symbolique magnifiquement portée par la première rencontre entre Beauregard et Personne. Une scène mutique qui dit tout à travers l'expression mélancolique que porte Jack en regardant Personne batifolant dans un lac, où il se livre à une pêche peu commune. Un instant de paix et de plaisir innocent auquel Jack rêve de goûter.


Le privilège du lecteur insouciant que veut devenir le héros en abandonnant son ouvrage fictionnel, là où le lecteur ne rêve que de devenir le héros en plongeant droit dedans.



Le seul moyen d’allonger la vie, c’est d’essayer de ne pas la raccourcir.



Tonino Valerii réalise d'une main de maître ce western via une technicité de qualité qui ne laisse rien au hasard. Une cinématographie de premier ordre qui porte l'empreinte de Leone qui s'est impliqué bien plus loin que l'écriture du scénario et la production du film, en s'emparant de la caméra pour tourner quelques scènes. Une attitude qui sera à l'origine d'une tension entre l'élève qui va couper les ponts avec son maître après le tournage, ce qui lui vaudra de disparaître du grand succès des audiences internationales. Une triste récompense. Pourtant, Valerii a le mérite d'apporter une structuration psychologique qui va dépasser le stade du fond pour se retrouver présent dans la forme, devenant le principal vecteur d’une vision qui conjugue le nouveau avec le vieux Ouest américain cinématographique. En découle une atmosphère passionnée qui imprègne de part en part le film avec une ingéniosité surhumaine à retranscrire une vision fantasmagorique empreinte de réalisme. Un champ de possibilités savamment porté par les superbes visuelles qui offrent une belle retranscription parabolique des décors pittoresques désertiques, des physiques malpropres pour certains, des tenues vestimentaires resplendissantes pour d'autres, jusqu'aux actions. Un résultat que l'on doit à une caméra qui chérit, analyse, décortique et approfondit les personnages, au même titre que l'atmosphère musicale d'Ennio Morricone. Ennio Morricone livre une bande sonore titanesque qui saisit la gravité pour la mêlée à la fantaisie du film, offrant un mélange savoureux dont on se délecte de chacune des notes qui sont uniques. Pour faire simple, la bande sonore est géniale !


Un récit qui laisse la part belle à l'action sous un rythme passionné qui enchaîne allègrement les rebondissements aussi bien par la dureté de certaines tueries que par les moments de parodies venant alléger le tout. Une mouvance qui joue des clichés et des stéréotypes occidentaux, pour offrir un théâtre idéal mais pas parfait. Car si la direction artistique est de premier ordre, l'action souffre quelquefois de son intégrité à façonner l'irréel par le prisme du réel. Si bien que parfois, la transition entre les deux s'opère avec quelques éléments balourds qui sans s'avérer pleinement perturbant peuvent être déroutant. En découle des transitions étranges entre des scènes, comme lorsque l'on passe du plan épique de la confrontation à "1 contre 150" tant fantasmé, pour se couper aussitôt avec froideur et nous balancer dans une ruelle pour un ultime duel entre Hill et Fonda. Des éléments négatifs minoritaires mais présents.
Mon nom est personne reste une référence en séquences cultes, avec :



  • La scène d'introduction dans un village abandonné qui se trouve au Nouveau-Mexique, avec un trio de bandits qui vont tenter de faire la peau à Beauregard en lui tendant un piège chez le barbier. Une séquence incroyable à l'origine d'un contraste et d'une tension saisissant. Une scène qui fut tournée durant le premier jour de tournage : le 20 mai 1973, soit l'anniversaire du cinéaste Tonino Valerii.


  • Le chapitre dans le cimetière avec une confrontation présumée entre Terence et Fonda, qui sera à l'origine d'un clin d'œil édifiant avec une tombe mentionnant le nom de Sam Peckinpah.


  • Le jeu d'alcool dans le saloon. Un défi durant lequel on boit un verre cul sec, on le balance par-dessus son épaule pour mieux se retourner et l'exploser d'un coup de revolver avant qu'il ne tombe par terre. Par là même, on remporte un paquet de dollars en jouant au plus malin en trompant son monde comme Personne le fait si bien. L'élément déclencheur d'une série de baffes cultes, contre Don John par le courageux Marc Mazza, qui est passé par bien des difficultés pour tourner cette scène.


  • La confrontation dans le cirque avec la salle du miroir, ou encore avec le pantin rotatif. Des confrontations savoureuses.


  • Le vol du train par un passage hilarant dans le pipi room.


  • Enfin, la fameuse confrontation à 1 contre 150, qui sera à l'origine d'une bataille fantasmagorique. Un magnifique moment de cinéma.



En plus de l'action, Mon nom est personne est un véritable recueil en citations mémorables et en échange métaphorique. Il y en a tellement qu'il serait trop long de toutes les énumérer. C'est pourquoi je vais m'en tenir à ma préférée orchestrée autour d'un échange situé autour d'une partie de billard entourant Personne, Beauregard et l'excellent vieux Dirty, par Antonio Palombi qui accompagne le duo :
« - Est-ce que tu connais l'histoire du petit oiseau ?  Mon grand-père me l'a racontée souvent.
- Être grand-père en mon temps n'était pas à la portée du premier venu.
- C'était difficile jeune homme, mais pas impossible.
- Il était une fois un petit oisillon qui ne savait pas encore voler. On était en plein hiver et un soir il tombe de son nid. Et se retrouve sur le sentier. Alors il se met à crier «Pi ! Pi ! Pi ! Pi !». Il se fend le gosier parce qu'il meurt de froid. Pour son bonheur, voilà qu'arrive une vache. Elle le voit et elle veut le réchauffer. Alors elle soulève la queue et... «Plaf !»... Elle pose une belle galette fumante, grosse comme ça ! Le petit oiseau, bien peinard et bien au chaud, sort sa petite tête et remet ça : «Pi ! Piu ! Pi ! Piu ! Pi ! Piu !», plus fort qu'avant... Mais un vieux Coyote arrive au triple galop. Il allonge une patte, l'extrait délicatement de son tas de merde. Essuie la crotte qui le recouvre et ensuite... «Gloups !»... Il n'en fait qu'une bouchée. Mon grand-père disait qu'il y a une morale à cette histoire. Il faut que chacun la trouve tout seul. »

Une séquence incroyable qui tient du chef d'œuvre à tous les niveaux et dans laquelle Terence Hill fait un fantastique conteur d'histoire, et Dirty un incroyable spectateur totalement captivé par ce récit. Beauregard assiste imperturbable à cette fable à la moralité douteuse, dont il trouvera l'ultime réponse à la toute fin sur une voix off parfaite, dont voici un extrait :
« À propos, j'ai trouvé la morale de la fable que ton grand-père racontait : celle du petit oiseau que la vache avait recouvert de merde pour le tenir au chaud et que le coyote a sorti et croquer. C'est la morale des temps nouveaux : « Ceux qui te mettent dans la merde ne le font pas toujours pour ton malheur, et ceux qui t'en sortent ne le font pas toujours pour ton bonheur ; mais surtout ceci : "quand tu es dans la merde, tais-toi !" ». »



CONCLUSION :



Mon nom est personne de Tonino Valerii est un grand western, ni plus, ni moins.


La fin d'une ère, le début d'une autre.




  • Ce que je ne vois pas encore dans tout ça c’est, qu’est ce que cela peut bien te foutre ?

  • Un homme, un vrai doit croire en quelque chose.

  • Dans ma vie j’ai rencontré toute sorte de gens : escrocs, assassins, prêtres plus ou moins défroqués, putains, maquereaux, receleurs, même parfois quelques types réguliers. Mais un homme qui soit un homme, jamais.

  • C’est de ceux la dont je parle on ne les rencontre jamais, mais ce sont les seuls valables.


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le 19 juin 2022

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