Personne est parfait
Un Pistolero arrive à son crépuscule et croise l’ange gardien qui va le guider de l’autre côté. Henry Fonda pour faire le lien entre John Ford et Sergio Leone, comme pour opposer le western...
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le 9 mars 2015
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Jack Beauregard (Henry Fonda, magistral comme toujours) est un tireur particulièrement réputé dans l'Ouest. Mais un individu (Terence Hill, pataud) trouve qu'il reste à Beauregard une action héroïque à mener pour entrer vraiment dans la légende : affronter la Horde sauvage, 150 cow-boys qui sèment la terreur sur leur passage. Mais ça n'est pas vraiment dans les plans de Beauregard, qui prévoit d'aller à la Nouvelle Orléans embarquer pour l'Europe, afin d'y finir ses jours peinard...
Mon nom est personne, voilà un western qu'on ne présente plus, voilà un grand western ! Ou presque...
Deux choses (et demie) empêchent Mon nom est personne d'être le chef-d'œuvre qu'il aurait dû être : pour les dire vite, Terence Hill et la fusillade finale. Quelques petites aberrations scénaristiques traînent ça et là, mais ça, c'est moins grave.
Qu'on vive à une époque où Johnny Depp n'existe pas encore, c'est triste, mais je le conçois. Toutefois, peut-être serait-il plus sage de laisser en paix le créneau qu'il occupera quelques décennies après, car indéniablement, tout le monde n'a pas son génie singulier. Ainsi de Terence Hill, qui semble se croire un acteur comique, mais qui ne réussit guère (dans ce film, en tous cas ; je ne connais pas ses autres œuvres) qu'à être un pitre sans envergure. Et c'est dommage, car quand il cesse ses clowneries, il se révèle un acteur à peu près capable de tenir la tête d'un western.
Malheureusement, il a décidé de ne pas prendre son film au sérieux, et accable donc cette graine de chef-d'œuvre d'un humour néanderthalien dont on se serait bien passé. Le rire primitif n'est pas dénué de toute noblesse et il est permis même aux plus grands esprits d'esquisser un sourire devant une blague de pet. Blake Edwards parvint en son temps à glisser des blagues à base de pets et d'urine dans une hilarante scène avec l'immense William Holden. Mais Tonino Valerii n'est pas Blake Edwards, et il n'arrive jamais à le faire avec le non moins immense Henry Fonda...
Nous voilà donc avec deux films en un, qui peinent souvent à s'accorder. Terence Hill n'a que rarement l'air de jouer dans le même film qu'Henry Fonda, et les tentatives d'humour du film de Valerii sont probablement ce qui a pris le plus gros coup de vieux de Mon nom est personne. Les plans en accéléré de Hill et les "gags" (mais en sont-ils vraiment ?) à base de claques sont d'un désuet assez ahurissant. On voit bien une vague tentative de retrouver l'esprit de Buster Keaton, sans toutefois avoir essayé d'en percevoir la poésie...
Le problème de Tonino Valerii, c'est que s'il n'est pas Blake Edwards, il n'est pas Sergio Leone non plus. Reconnaissons-lui un vrai talent de mise en scène, il a quand même été assistant réalisateur sur 2 films de la trilogie du dollar. Ses plans sont souvent bien pensés. Mais qui est responsable du choix de montage de la fusillade finale ??? Pur scandale de charcutage, la fusillade épique avec la Horde sauvage se transforme en roman-photos même pas inspiré, ce qui est d'autant plus aberrant qu'a priori, c'est Sergio Leone qui aurait lui-même filmé la fusillade en question... Transformer un affrontement épique (qui commence avec le plus beau plan du film) en une succession de photographies n'a aucun intérêt, et tend au moins à prouver que Valerii n'a pas le discernement des grands.
Heureusement, Mon nom est Personne ne peut se résumer à ces deux gros défauts. Et on ne pourra que s'extasier devant à peu près tout le reste !
Bien sûr, Henry Fonda est immense, et même son duo avec le lourdaud Terence Hill a ses grands moments, notamment grâce à des dialogues parfaitement rôdés. Ce sont ces dialogues qui donnent au film tout son sel et nous offrent des échanges d'anthologie, parfaitement mis en abyme par une narration quasiment toujours aux petits oignons.
On retrouve une partie du génie leonien dans cette histoire de confrontation entre deux mondes, l'un mourant de son expérience, l'autre encore trop frais pour en percevoir toute la complexité. En cela, le côté "jeune chien fou" de Hill fonctionne parfois très bien, quand il est mis en exergue avec la sagesse désabusée de Fonda. Même si la réflexion était plus aboutie dans Il était une fois dans l'Ouest, même si Gore Verbinski la transcendera dans le magnum opus de sa carrière (et de l'histoire du western), elle fait régulièrement mouche ici, dans les scènes où les deux personnages discutent du bien-fondé et de la vraie nature de la légende. A ce titre, la fin du film est tout à fait jubilatoire tant dans sa forme que dans son propos. Car c'est là que réside l'essence du film : ce n'est pas juste l'histoire d'une confrontation à laquelle nous assistons, mais bien celle d'une transmission.
C'est tout le sens de ce récit qui s'agite souvent trop pour son propre bien, mais qui parvient tout de même à retrouver un peu de la flamboyance de ces westerns à l'ancienne, avant de planter un clou définitif dans leur cercueil.
Car sous tout ce vernis encombrant d'humour potache et de pitreries déplacées, il y a encore une âme qui bat. A travers ces grands paysages ouverts, ces croix qui entravent l'horizon, ces cavalcades au sein de la sierra, ces grands thèmes épiques à la trompette et aux voix signés par le toujours génial Ennio Morricone, c'est le chant du cygne d'un genre cinématographique tout entier qui s'exprime.
Et ce vieux cow-boy qui, hier, était le tireur le plus rapide de l'Ouest, et qui, aujourd'hui, est obligé de chausser ses lunettes pour mieux voir le lutin malicieux qui se moque de lui, c'est John Ford, c'est Henry Hathaway, c'est Sergio Leone, c'est toutes les grandes heures du western réunies en un dernier tour de piste, avant de tirer leur révérence et de quitter un monde qui ne veut plus vraiment d'eux.
Ce parfum nostalgique, Mon nom est Personne à encore du mal à l'exhaler, c'est peut-être pour ça qu'il s'agite autant. Mais à tous ceux qui croient que le film de Valerii sonne la naissance du western comique (qui, soit dit en passant, n'était pas le genre préféré de Sergio Leone...), on rappellera que l'humour s'était déjà invité dans bon nombre de John Wayne avec bien plus de réussite, car alors, il n'entravait pas la noblesse du récit.
Et, si on n'avait pas peur de se faire un peu taper dessus par les membres de ce site de puristes, on rappellerait que bien des années plus tard, Gore Verbinski sut ressusciter le genre pour, cette fois, mêler dans un cocktail parfaitement équilibré l'humour le plus irrésistible et la nostalgie la plus poétique, donnant ainsi naissance à un des plus beaux westerns qu'il m'ait jamais été donné de voir. Un western d'une extrême profondeur où, justement, il sera question de transmission, de temps qui passe, de légende et de réalité... Peut-être que parfois, les vrais chefs-d'œuvre ne se trouvent pas là où le dit le public.
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il y a 3 jours
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