C’est l’amer qui prend l’homme.
Film assez mal accueilli en son temps, et qui rompt clairement avec la filmographie la plus célèbre de Chaplin, M. Verdoux solde les comptes. Avec l’âge d’or d’un cinéma muet et du pantomime, tout d’abord, par une tragi-comédie assez ambivalente. Chaplin ne se refait pas, et son personnage inspiré de Landru garde ainsi une virtuosité qui s’inscrit dans le sillage du Charlot originel, mais au profit d’actions immorales. Toujours sur le fil, on suit l’intelligence qu’il met au service du crime, qui, si l’on y réfléchit bien, a toujours été la colonne vertébrale de son comique, puisque le vagabond cherchait toujours à survivre en dépit et aux dépend d’un système qui le brisait. Le portrait qu’il fait des victimes, mégères acariâtres ou veuves grotesques accentue encore la sympathie qu’on peut avoir pour son raffinement, d’autant qu’il fait don de ses gains à une épouse infirme et un enfant, échos au justicier bienveillant des Lumières de la ville…
Raffiné, précieux dans son rôle de gigolo, Chaplin ne joue plus pour autant au chat et à la souris avec le parlant : il est assez jubilatoire de le voir désormais user de tous les atours de la rhétorique pour dépouiller ses victimes, notamment dans la séquence au téléphone chez la fleuriste, qui tombe aussi sous son charme.
Mais la farce cruelle ne se limite pas à sa séduction vénéneuse. Dans la lignée du Dictateur et de son discours final, Chaplin enfonce le clou de ses idéaux humanistes, en dépit de la réputation sulfureuse qu’il lui en coûte aux Etats-Unis. En contrepoint de son idéal de vie (être à l’abri du besoin avec les siens et aider ceux qui en ont besoin, comme cette jeune fille sortant de prison), le système ne cesse de dévorer les individus : la crise a raison de sa famille, le dépouille et la fortune de la jeune première provient de son mariage avec un industriel de l’armement. Pessimiste, toujours indigné, c’est par la voix d’un meurtrier en passe d’être guillotiné qu’il poursuit son discours, bien loin de l’idéalisme uchronique du Dictateur : plus lucide, plus acerbe aussi.
Un peu long dans ses allées et venues entre les différentes victimes, déconcertant dans son mélange de drôlerie et de dénonciation, M. Verdoux est une œuvre amère, qui porte les stigmates d’un auteur à qui on semble refuser d’être autre chose qu’un amuseur public, et qui s’en venge avec un talent indéniable.
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