Ce troisième moyen métrage est révélateur des aspirations du cinéma de Mikhaël Hers et sa découpe pour la première fois volontairement chapitrale ne fait que renforcer l’idée générale qui règne au sein de ses films, à savoir d’avancer avec le passé, de saisir le moindre fait du présent, une rencontre ou une simple discussion, de saisir des instants charnières qui n’en ont pas l’air, afin de libérer son esprit, non pas d’effacer marques et blessures (pas de réponses, pas de pages qui se tournent définitivement), mais de les utiliser pour repartir autrement. Montparnasse pourrait être un film choral pourtant il se constitue de trois petites histoires qui n’ont en commun que leur lieu et l’heure de la journée, le film étant entièrement nocturne. Ce sont Les rendez-vous de Paris Rohmériens à la sauce Hersienne. Les personnages intervenants dans une histoire n’apparaissent pas dans les deux autres. Malgré tout, ils ont tout en commun. Sandrine pourrait être Aude, autrement, ou Leïla, un autre jour.
Le film s’ouvre sur Montparnasse et ne cessera d’y revenir de temps à autres, spécialité du cinéma de Mikhaël Hers que de mettre en lumière, en plan fixe, les lieux de ses propres films en insérant ci et là, en quasi suspension, le mouvement de la ville, ses lumières, son horizon, la beauté de son paysage, architectural ou naturel. De cette manière, la ville est elle aussi un personnage autour des personnages centraux interagissant dans chaque histoire. Cela peut-être la femme de l’étage du dessus que l’on entend crier ou encore croiser un vieil ami lors d’une balade ou alors une inconnue qui demande une cigarette. On parle régulièrement des lieux aussi, impressions diverses du présent ou remémoration de souvenirs, Roissy au loin et ces aléas d’avion incessants, une salle de cinéma à Denfert-Rochereau ou bien la simple évocation d’une ville du sud dans laquelle on a passé quelques temps. Et évidemment, le choix du plan-séquence, que Mikhaël Hers utilise beaucoup, renforce la qualité de ces films quant à l’espace utilisé.
Dans le premier segment, Sandrine s’apprête à accompagner sa soeur au cinéma, mais elles lui préféreront une longue marche dans laquelle s’engagera une discussion qui se terminera dans l’appartement de la seconde. Le personnage joué par Sandrine ressemble beaucoup à celui de Raphaël dans Memory Lane, en plus retenu, sur la brèche mais encore loin, peut-être, de cette saturation terrifiante. Discussion sur la peur de ne pas être à la hauteur, d’avoir cette impression de faire fuir, de ne pas vivre sa vie comme on l’espérait. On ne le dira jamais assez mais la qualité première chez Hers c’est l’écriture et sa manière de la mettre en scène, tant il trouve un équilibre surprenant. Ce segment s’achève sur une séquence aussi hypnotique que déchirante, en musique comme souvent chez le cinéaste. La grande soeur (encore que là-dessus rien n’est précisé) se met à danser, Sandrine la regarde, elle sourit, elle l’admire, l’envie, on ne sait plus trop, puis finalement elle danse à ses côtés et Hers n’hésite pas à étirer cette séquence afin d’accentuer cet état d’hypnose avant de terminer sur le même plan que précédemment de Sandrine, assise, observant sa soeur, donc on ne saura pas si oui ou non elle a réussi à la rejoindre, franchit ce cap de la timidité, fait ce pas en avant qu’elle redoute, permis à ce corps de se libérer entièrement ou si elle rêvait simplement de cette symbiose des corps en mouvement.
Dans le suivant, ce qui s’apparente d’abord à un dîner entre un père et son fils, se révèle l’échange improbable du croisement occasionnels des uns en mémoire de quelqu’un. Aude. C’est le nom de ce court. On ne verra pas d’Aude. On en parlera beaucoup, parfois au présent, parfois à l’imparfait, ne serait-ce que cette simple idée c’est bouleversant. Un objet devient le vecteur d’un sentiment fort, ce genre de vecteur où il faut se retenir pour ne pas craquer. Un appareil photo, dans lequel s’y trouve l’impression de ces souvenirs, trop importants pour les oublier, trop éprouvant pour en parler. La discussion évoque Aude, parcimonieusement, mais surtout elle se centre sur les destins de chacun, extrapole pour éviter le sujet premier de ce dîner qui n’a rien de banal. Cette partie se termine sur un plan de retrouvaille entre le garçon et Aurélie, la soeur de la fille dont on ne fait que parler et un père qui s’en va de son côté, mais déjà cet ultime plan a quelque chose de plus réconfortant que celui de la première partie.
Le cinéma est aussi une affaire de sens, de choix du sens, donc de montage. L’inversion des courts dans le moyen métrage aurait sans doute eu un autre impact, plus grave, trop mélancolique, moins lumineux. Mikhaël Hers prend l’option d’achever Montparnasse sur une rencontre, d’une simplicité étonnante. Une rencontre dans un bar, où la jeune femme écoute la musique du garçon, avant que cela ne se poursuive dehors, lors d’une marche sans fin (Les personnages choisissent systématiquement de marcher dans les films de Mikhaël Hers tout en ayant souvent pris d’abord l’option d’aller boire un verre, se poser ou aller au cinéma) puis dans l’appartement de la jeune femme. Regarder Paris, scruter l’horizon et échanger des banalités qui n’ont finalement plus rien de banales. Lorsque le jeune homme demande à la jeune femme s’il peut l’embrasser et que le film s’en va se fermer sur ce baiser, on se dit que ce voyage, bien que souvent éprouvant, gagne en luminosité. Cet équilibre là me fascine énormément dans ce cinéma là. Dans le cinéma d’aujourd’hui, mais à un degré moindre tout de même, seuls deux cinéastes ont réussi à rendre compte de ce double état, il s’agit de Guillaume Brac et de Sophie Letourneur. Mais Hers a quelque chose de plus : cette magie de l’épure saisissante alliée à des dialogues renversants.