Je tiens à vous prévenir avant que vous lisiez cette critique : je ne suis pas objectif concernant le cinéma de Wes Anderson. Pour moi, il est l'un des plus grands génies de sa génération, et pas assez reconnu à sa juste valeur, bien qu'il ait gagné en popularité avec ce film et le suivant "The Grand Budapest Hotel", oscarisé.


Bien plus que l'histoire de la fuite de deux Roméo et Juliette des temps modernes, détestés de tous et à l'amour rendu impossible par leurs familles respectives, ce film dépeint avec justesse l'adolesence. Des adolescents qui veulent déjà tout faire comme les grands, alors que les adultes les considèrent encore comme des enfants. Ils font d'ailleurs figure de méchants dans le film : en particulier l'excellente Tilda Swinton qui incarne "L'action sociale" et souhaite interner le héros dans un hôpital psychiatrique et lui faire subir des électrochocs.


D'ailleurs, le monde des adultes est interprété par un casting époustouflant : l'indéboulonnable Bill Murray, qu'on retrouve presque à chaque fois dans les films de Wes Anderson, Bruce Willis en vieux garçon ("bachelor" dans la VO) qui devient un père de substitution pour le héros après qu'il a été abandonné par ses parents adoptifs, Frances McDormand et bien sûr Edward Norton. La prestation de ce dernier m'a d'ailleurs bluffé : il prouve dans ce film qu'il est capable de tout jouer, dans un registre où on ne l'attend pas forcément. Son jeu de chef scout est toujours très juste. Mon seul grand regret après avoir vu ce film est qu'il ne soit pas plus présent.


Mais ce casting 5 étoiles ne doit pas faire oublier qui sont les véritables stars du films : deux jeunes acteurs au potentiel énorme dont on n'attend plus qu'ils confirment leur immense talent. Et ils n'avaient que 12 ans au moment du tournage !


La réalisation est, comme toujours avec Wes Anderson très soignée. On peut lui reprocher certaines choses, mais il est l'un des seuls réalisateurs actuels à avoir une véritable patte, un style reconnaissable entre 1000. Plans larges, zoomage, dézoomage, et caméra se déplaçant horizontalement et verticalement caractérisent sa réalisation. Mais le soin attaché aux costumes, aux décors et à chaque plan montrent que le perfectionnisme n'est pas un défaut, bien au contraire. Comme dans tous ses films, tout est beau visuellement (ici les couleurs pastels prédominent).


Le film fait du bien aux yeux, mais également aux oreilles, la composition ayant été assurée par un Français, Alexandre Desplat (cocorico !).


En réalité, le film est un cliché permanent, et c'est ce qui fait sa force. Il reprend les codes les plus basiques du cinéma mais les tourne en dérision, et comme ce sont des enfants qui réalisent ces actions, on apprécie énormément. Exemples : Sam qui peint sa dulcinée qui pose en sous-vêtements, un poster qui masque le trou par lequel le personnage principal s'est échappé de sa tente, le "were you followed ?" ("on t'a suivi ?") lorsque les deux héros se retrouvent dans un pré après leur fuite. On a l'impression d'avoir vu ce genre de scènes 50 fois au cinéma, mais comme c'est volontaire, on ne peut pas s'empêcher de sourire.


D'ailleurs, l'humour fait mouche. Il flirte même avec l'absurde : le magazine que lit le personnage d'Edward Norton s'appelle "Indian Corn" ("le maïs indien") et la scène où il reproche à ses scouts d'avoir construit une cabane beaucoup trop haute m'a bien fait rire (il faut avoir l'image de l'arbre en tête pour comprendre). Sans oublier la fameuse correspondance épistolaire entre Sam et Suzy où celle-ci dit à son amoureux qu'il peint très bien, en particulier les arbres et les poteaux téléphoniques. Tout le monde n'appréciera pas ce genre d'humour, et c'est bien dommage.


Sinon est-il nécessaire d'évoquer LA scène culte qui a fait tant jaser ? Celle où les deux héros dansent et s'embrassent pour la première fois sur une plage abandonnée, avec en fond musical un morceau de Françoise Hardy. Il faudrait être terriblement insensible pour ne pas succomber devant tant de mignonnerie. On pourrait être gêné à juste titre au vu de l'âge des protagonistes, mais ce n'est pas le cas, tant la scène est interprétée avec brio.


Le film est en réalité un véritable accéléré de la vie d'un couple alors que l'action se déroule sur une année en comptant le flashback : de la rencontre (on aurait aimé en savoir plus sur ce moment) à la mort supposée, en passant par la découverte de la sexualité sus-évoquée, un mariage express et la traversée d'épreuves de toute sorte. "Moonrise Kingdom" est d'ailleurs un de ces films qui gagne en gravité au fil des minutes, un véritable crescendo qui finit en apothéose (une guerre ou un orage ? on ne sait pas bien).


Tout est donc réussi dans ce film que je recommande chaudement. Néanmoins, vous êtes prévenus : il va vous rendre nostalgique de vos premières histoires d'amour, et même pire. Vous allez vous rendre compte qu'aucune de celles que vous avez vécues ou allez vivre n'arrive à la cheville de la romance de Sam et Suzy.

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le 30 nov. 2016

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Albiche

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