Moonrise Kingdom par Patrick Braganti
C'est donc autour d'une histoire d'amour entre deux enfants, Sam et Suzy, que l'américain Wes Anderson construit son septième long-métrage. Deux enfants, peut-être pas tout à fait. Si Sam, scout Kaki aux faux airs de Davy Crockett façon Castor Junior, a encore tout du bébé, son amoureuse Suzy a elle déjà les attributs irréprochables d'une petite Lolita. Sans doute le réalisateur de La Vie aquatique a-t-il bien raison de croire en l'amour enfantin car la version des adultes semble ici se cantonner à la tromperie, la rancœur et la jalousie. Ces mêmes adultes, qui les parents de Suzy, qui l'officier de police en charge de remettre la main sur les deux fuyards, qui le chef scout quelque peu niais, redoublent d'efforts pour anéantir la romance originelle, comme pour préserver des inévitables déceptions et des désillusions fatales les jeunes innocents qui, de leur côté, révèlent un comportement plus responsable et réfléchi.
C'est une évidence : Moonrise Kingdom se construit sur l'inversion des rôles entre enfants et adultes, et épouse pour cela la forme d'un conte niché au cœur d'îles prochainement soumises à un cataclysme météorologique. Un conte qui emprunte lui-même beaucoup aux codes de la bande dessinée : les cadres stricts composent autant de cases qui défilent en longs travellings latéraux ou en mouvements de marche arrière de la caméra. Comme dans ses opus précédents, le réalisateur réussit à merveille à créer un univers personnel avec son patchwork de couleurs pastel, son sens inouï du détail qui confine au perfectionnisme, son goût de l'invention et du décalage. L'ennui est que cette savante alchimie transpire le préfabriqué et le systématique de manière de plus en plus visible, réduisant ainsi l'ensemble à une succession de sketches qui manque un peu de liant. Les séquences des retrouvailles et de la fugue des jeunes tourtereaux donnent au film ses meilleurs moments, notamment parce qu'elles utilisent à plein les ressources de l'endroit, paradisiaque et féérique. Sur fond de Françoise Hardy, l'été 1965, même au large de la Nouvelle-Angleterre, ça vous a un petit côté pop, nostalgique et mélancolique irréfutable que les teintes acidulées soulignent joliment. Tout ceci est donc charmant, léger et aussi anecdotique. Le système Anderson tourne à la fois à plein régime et un peu à vide, comme prisonnier de ses afféteries et de ses tics. La part dévolue aux adultes (avec un casting de stars) est logiquement réduite, mais pour le coup les seconds rôles peinent à exister au-delà de quelques prestations frisant le cabotinage. L'issue du film dans le déchainement des éléments vire peu à peu à la pantalonnade, le tirant pour le coup vers le pur divertissement qui ne manquera pas de réjouir grands et petits. C'est dans la dernière scène où Sam peint le tableau d'un paysage qui n'existe plus que transparait l'éphémère de la jeunesse et des amours enfantines. Un constat qui assombrit soudain le film, signe peut-être que Wes Anderson se dirige prochainement vers d'autres univers.