Moonrise Kingdom par Léo Corcos
Présenté en compétition à Cannes l'an dernier, ce film aurait mérité un prix, ne serait-ce que pour son originalité et son aspect un peu inclassable ( ni véritablement film d'amour, ni véritablement film comique ). Premièrement, et il faut le souligner car c'est rare : Edward Norton et Bruce Willis ont des rôles intelligents ET successful. Et ça, c'est beau. C'est la magie du cinéma, qui fait que tout est possible. Aux côtés de Bill Murray et Frances McDormand, ils encadrent deux acteurs en herbe, les deux enfants en pleine idylle qui pour leur grande première se comportent comme des acteurs avec un vrai gros passé cinématographique derrière eux, bien dans le ton du film qui inverse codes et valeurs. En effet, les adultes se comportent comme de vrais enfants ( une dispute entre parents digne de collégiens, le lit séparé comme dans une chambre d'enfants ) et les enfants comme de vrais adultes ( prendre autant de responsabilités à 12 ans, c'est fort ). C'est ce même décalage, qui va de pair avec l'esthétisme tout aussi décalé ( le jaune, le vert pétants, des maisons de poupée comme habitations ) qui apporte humour d'une part ( les grands discours de Sam, la face toujours sérieuse de Suzy, l'aspect enfantin de Norton ) , et onirisme et lyrisme d'autre part ( une scène d'amour de préado magnifique sur fond de Françoise Hardy ).
Rythmé par les mouvements verticaux de la caméra, passant d'un plan à l'autre avec maîtrise ( les premiers plans révèlent l'absence même de fioriture ), ce film raconte un rêve, celui de deux préados souhaitant sortir de leur vie monocorde et monotone pour vivre leur grand amour, ce qui revient à dire qu'ils souhaitent sortir de l'enfance, prendre le relais de leurs parents incapables de le faire. Vision idéale de l'enfance ? Peut-être. Pas de pathos, seulement une aventure lyrique.
Selon les propres mots de Wes Anderson, qui signe là sûrement son meilleur film, le film se déroule en 1965 car "pour eux, quand ils auront 20 ans, le monde aura beaucoup changé. Les USA ne seront plus dans une période heureuse, ce sera la fin de l'innocence". Les enfants bouleversent donc la paix de leur bourgade afin d'entamer un contre-la-montre avec le bonheur et contre l'Histoire, afin de vivre leur histoire. Seul Willis en gardien de la paix est là pour essayer de la préserver en leur proposant un compromis. Est à préciser le rôle du narrateur , "voix de l'aventure que Suzy, amatrice de romans d'aventures, s'écrit" ( W. Anderson ), guide du spectateur, Commandant Cousteau de cette petite épopée, comme une projection de la caméra sur ce film touchant et drôle
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