Moonwalker serait l’exemple par excellence de ce qui distingue la créativité du caprice, la démesure du gavage commercial, la vision d’artiste du gloubi-boulga infâme s’il ne réussissait à produire un puissant effet hallucinatoire, à l’image des drogues que veulent diffuser les antagonistes auprès des enfants. Pendant la première partie du film, interminable au demeurant, Jackson est là sans y être, se trémousse d’un téléviseur à l’autre, enchaîne ses succès sans pour autant offrir de prises sur sa personne ; la suite confirme cette présence vaporeuse de l’artiste qui n’apparaît que par jeux d’ombres ou séquences chorégraphiées. On croirait rêver. Le mystère est à son comble, l’atmosphère cartoon de l’échappée en moto mute en déambulation expressionniste à la Batman (Tim Burton, 1989).
Pour autant, la déstructuration du film ne se justifie guère au sein d’une œuvre exclusivement commerciale, tel un agglomérat de publicités et de clips dont le seul lien est Jackson ; elle ne relève pas d’une volonté de repousser les limites du cinéma, d’inventer une forme innovante digne du génie de la musique qu’elle porte ; elle exhibe les rouages d’une mécanique d’emprise soucieuse de vampiriser un spectateur tout à la fois fasciné par un show dont il est censé être fan et désarçonné devant une fiction qui ne vient pas, qui échappe sans cesse. Moonwalker exploite sans vergogne les univers produits et détenus par la Warner, anticipant en cela un Space Jam: A New Legacy (Malcolm D. Lee, 2021) – mêmes placements de produits, même enchaînement d’extraits, même bêtise – mais parvient à atteindre un dérèglement plutôt grisant, quoique vain.