Oscar est l'exemple de l'enfant considéré par ses camarades comme faible et trop différent, donc comme une victime idéale. Blondinet d'aspect frêle et maladif, il subit les humiliations infligées par une bande de jeunes de son âge.
Mais le soir, dans sa chambre ou dehors, dans le parc enneigé autour de son immeuble de banlieue, il imagine une improbable vengeance en prenant en main son poignard ou en se créant des situations fictives.
Un de ces soirs-là, il fait la rencontre d'une jeune fille d'une douzaine d'années, Eli, qui paraît aussi timide, maladive et isolée que lui. Une jeune fille dont le père part, le soir, en d'horribles expéditions pour tuer des gens et les vider de leur sang. Car Eli est un vampire et son père se charge de lui fournir sa "nourriture".
Morse présente une histoire de vampires débarrassée de pseudo-romantisme. Ici, c'est morbide, violent, avec un mélange paradoxal de sombre et de lumineux. La mort et la violence sont très présentes dans le film.
Le paysage, pour commencer, est presque mort. La neige à tout enseveli, tout le décor semble figé dans le froid, le gris, le gel. Il n'y a plus ni route, ni sentiers, ni lac, ni rivière... L'hiver marque la mort de la nature, dans l'attente d'une lointaine renaissance qui paraît presque improbable quand on est plongé au coeur de ce paysage.
Ce décor est particulièrement bien exploité dans le film. D'abord parce que la réalisation, sobre, sait implanter l'action dans un paysage. Ensuite parce que cet hiver ne marque pas seulement la mort de la nature, mais aussi la mort sociale et peut-être même psychologique des personnages.
En effet, le film se déroule dans un milieu socialement "défavorisé", dans une banlieue où, visiblement, le chômage tape fort et où l'activité principale de la population masculine consiste à boire. Comme Oscar est victime des autres parce que faible, de même toute la population environnante est victime d'une violence sociale, parce qu'elle est sûrement en position de faiblesse sociale.
Le vampirisme est, d'un certain côté, une réponse à tout cela. C'est une exclusion volontaire de l'humanité, une marginalisation assumée et non plus subie. C'est une forme de révolte sociale.
Être vampire, c'est ne plus accepter d'être une victime. Pour s'en assurer, il n'y a qu'à voir une scène très significative : Oscar, pour la première fois, refuse d'être un martyr et répond à la provocation ; le sang coule, rappelant le vampirisme ; en même temps, on retrouve le cadavre d'une des victimes d'Eli. Tout est réuni en une scène, en un lieu. Le croisement des enjeux du film, à peu près au milieu de l’œuvre.
Être vampire, c'est peut-être aussi une façon de s'adapter à la société, de répondre à la violence sociale par une autre violence.
Être vampire, c'est échapper au monde matérialiste. Ainsi, Eli est potentiellement riche mais s'en moque royalement. Elle vit en dehors de ces intérêts pourtant centraux pour le reste de la population.
Être vampire, c'est aussi vivre en dehors d'un monde sexué. Ce qui est impressionnant parmi les choix de mise en scène du cinéaste, c'est sa façon de créer deux personnages asexués. Oscar est un garçon mais ses cheveux longs, sa frêle ossature, sa faible voix, tout en fait un parfait androgyne. Quant à Eli, l'ambiguïté marque le personnage. Elle se présente comme fille, mais au détour du plan sur une cicatrice, le doute s'instaure (ou se renforce, c'est selon).
Être vampire, c'est retrouver l'espoir, non pas en s'imposant dans cette société, mais en sortant de cette société. SPOIL : Et comme l'hiver est une petite mort qui cède la place à la renaissance du printemps, de même cette histoire de mort se clôt sur un retour à la vie. FIN DE SPOIL On se crée alors sa propre société, avec, comme moyen de communication secret, le Morse.
Avec son esthétique en rouge et blanc, sa grande sobriété entrecoupée de moments de lyrisme, sa réalisation maîtrisée, Morse fait rentrer le film de vampire dans le monde du cinéma social et politique.
[bientôt 24 heures après l'avoir vu, certaines scènes m'obsèdent toujours (comme celle de la piscine, par exemple). Je pense que c'est un film qui reste longtemps en tête]