J'ai revu Mort à Venise, un film très célèbre, mais qui ne me passionne pas autant et n'égale pas selon moi la splendeur du Guépard et de Ludwig. Le sujet du film ne m'attire pas vraiment, mais je m'intéresse quand même à ce film parce que j'ai toujours apprécié Visconti et son soin méticuleux et extrême dans les images, les décors, les costumes et la musique. Ici, on a tout ça, et ce qui m'intéresse, c'est plus la forme que le fond qui par moments est un peu ronflant et ennuyeux lors des flashbacks et des scènes de discussions théoriques sur la création musicale entre le compositeur Gustav Aschenbach (incarné par Dirk Bogarde) et un ami un peu exalté.
C'est un film complètement méditatif, contemplatif, mélancolique, où il ne se passe rien et où l'action se déroule lentement, tout ce qui apparait à l'image est en symbolique qu'il faut décrypter et interpréter selon sa propre sensibilité. Visconti y aborde plusieurs thèmes : la création, la recherche de la beauté, le désir, le déclin, le naufrage de la vieillesse, la mort inéluctable, la fin d'un monde dans une Venise mortifère et déliquescente éprouvée par le choléra, une Venise crépusculaire... tout ceci est vu à travers le regard que porte Aschenbach sur la grâce angélique d'un bel adolescent polonais ; atteint d'un mal insondable, Aschenbach ne cherche pas le contact avec le jeune garçon, tout se joue par les regards.
En adaptant cette courte nouvelle de Thomas Mann qui était un essai quasi biographique sur le compositeur Gustav Mahler, Visconti a par bien des points, dressé un parallèle avec le prince Salina dans le Guépard qui voyait lui aussi la fuite du temps, de même qu'il y a un évident côté proustien dans Mort à Venise, c'est flagrant dans les scènes de l'hôtel lorsque Aschenbach observe les clients. Ceci se traduit par de longs plans sans dialogues et de longs travellings qui accompagnent la solitude et l'errance d'Aschenbach vers la mort, le tout rythmé par la musique de Mahler. Ce qui transcende littéralement le propos du film, c'est justement cette musique néo-romantique, avec cet Adagietto de la 5ème symphonie, et celle de la 3ème symphonie. On peut dire que le film de Visconti s'apparente à une adaptation-transposition musicale de la nouvelle de Mann, tant le personnage d'Aschenbach est inspiré du compositeur, dont cette bande sonore constitue une osmose parfaite entre la forme et le sujet du film, entre l'image et la musique. Tout comme Hitchcock trouvait en Bernard Herrmann une écriture musicale, où encore Sergio Leone en Ennio Morricone, ici, la musique de Mahler est absolument indissociable de Mort à Venise et se révèle totalement envoûtante.
Ce film opère une synthèse parfaite entre un ensemble de formes artistiques : la littérature (la nouvelle de Mann), la musique (Mahler) et l'architecture (Venise), c'est une oeuvre d'une beauté sensible et douloureuse, une ode à la beauté où la mort est au bout, à la perfection plastique et à la prestation bouleversante (sans trop de dialogues) de Dirk Bogarde (qui retrouvait Visconti après les Damnés).