Tragique. Ce mot si simple et pourtant non exempt d'ambiguïtés, pourrait suffir à résumer tant l'histoire que le cadre, l'ambiance, la musique, etc. Hélas, trop souvent dévoyé, utilisé pour désigner tant une fatalité qu'un simple drame, le terme tragique perd de son sens. Il se perçoit ici à la lumière du grand Nietzsche.
Roman de Thomas Mann à l'origine, Mort à Venise propose dans un cadre mondain, fidèle reproduction d'une station balnéaire vénitienne de la Belle Epoque, la déchéance créatrice, morale puis physique d'Aschenbach, compositeur bavarois venu y trouver la quiétude. De plus en plus mal à l'aise dans ce Club med sans autres activités que la délectation et la conversation, il s'éprend d'une passion subite pour un jeune Patrocle polonais, venu en famille goûter à la chaleur de l'Adriatique. Par un très bon jeu d'acteur, la gène première se meut en obssession, puis en passion, en amour enfin ? De la gêne, le spectateur peut en éprouver. Néanmoins il ne s'agit pas d'un film sur l'homosexualité et encore moins la pédérastie ! Aschenbach n'est ni Ludwig du Crépuscule des Dieux, ni L'immoraliste de Gide.
C'est un artiste, un musicien, ce qui n'est pas anodin, qui a choisi de suivre l'idéal plutôt que la réalité, le rêve appolinien plutôt que l'ivresse dyonisiaque, aurait dit Nietzsche dans L'origine de la Tragédie né de l'esprit de musique. Sa musique doit être la plus pure possible, éloignée des vices terrestres, comme sa vie elle même. Mais l'édifice est fragile.
La référence au philologue-philosophe allemand est évidente tant les emprunts à son oeuvre foisonnent dans ce film: le personnage de l'artiste-génie, la décadence physique (thème de la Grande santé), le dualisme musical évoqué précedemment entre transcendance et le immanence, les réflexions sur l'art en général...
Nietzschéisme d'autant plus que la bande sonore est issue des troisièmes et quatrièmes symphonies du compositeur autrichien Malher, contemporain de Nietzsche, et grand admirateur comme lui de l'opéra de Wagner dont son oeuvre s'inspire.
Bref, l'esthétique est irréprochable, la musique fabuleuse, le récit bien conçu, la réflexion passionante= quatuor Visconti + Malher + Mann + Nietzsche