Une poignée de jésuites, Jeremy Irons en tête et Liam Neeson à sa suite bientôt rejoints par de Niro, chasseur d'esclaves repentit, amènent aux indiens Guarani la parole divine. Comme Gauguin en Polynésie, ils découvrent un univers d'une beauté naturelle et sauvage magnifiquement retranscrit. La rencontre entre ces occidentaux emplis d'humanisme chrétien, qui chacun interprètent leur rôle avec conviction, et ces indiens touchants, fiers, mélomanes, donne lieu à une communauté religieuse (une mission) singulière et harmonieuse. Rapidement, ce contexte (trop) brièvement construit, laisse aisément percevoir l'enjeu macro du film: la mission nouvellement créée survivra t-elle aux luttes politiques qui, dans le Vieux monde, opposent une Eglise devenue fragile et les puissances coloniales que sont l'Espagne et le Portugal ? A ce titre, c'est un cardinal dépêché par le Saint Siège qui donne la narration et sera maître du destin de cet Eden chrétien, dont la prospérité dérange. Dans cette époque charnière, où l'esprit des conquistadors perdure mais l'idéalisme rousseauiste du bon sauvage progresse, Jean Joffré dresse un tableau des antagonismes moraux. Morale personnelle ou éthique de vie, dans la relation des religieux avec Dieu, la foi, leurs croyances. Morale commune ou éthique politique, dans une confrontation entre pragmatisme machiavélique et sens du devoir. Quitte à mettre en place un nombrilisme auto centré sur la conscience des colonisateurs (religieux ou laïcs), en oubliant par là le ressenti des Indiens... Esclaves, guerriers, chasseurs, femmes aux foyers ou convertis, les places qu'ils occupent au sein du film relèvent trop souvent de la représentation symbolique. La réalisation laisse la psychologie aux personnages européens et l'instinct de survie aux indigènes. Seule zone d'ombre de cette aventure spirituelle dramatique, cet élément, renforcé par une vision manichéenne du conflit, laisse percevoir une attitude paternaliste bienveillante envers les victimes de la colonisation sud-américaine.