Kimi Anyways
La veille de l’écriture de cette critique, l’acteur Elliot Page (anciennement Ellen Page) déclarait sur Instagram être transgenre. On nomme cette prise de parole un « coming out », expression...
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le 2 déc. 2020
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La veille de l’écriture de cette critique, l’acteur Elliot Page (anciennement Ellen Page) déclarait sur Instagram être transgenre. On nomme cette prise de parole un « coming out », expression spécifique à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, évoquée dans le film par le personnage de Maman. Bien que le sujet ne date pas d’hier (La Reine de Frank Simon, 1968), force est de constater qu’il persiste des difficultés relatives à ce domaine ; le suicide ronge encore les communautés transgenres et homosexuels. Besoin naturel ou simple tendance, mettons de côté ce débat essentialiste/existentialiste pour le moment.
Dès le début, le film nous plonge dans l’intimité d’une conversation d’une bande de drag queens. La bonne ambiance et la convivialité règnent, les personnages parlent sans filtre et, tout en restant assises, génèrent la totalité du drame. Le réalisateur parvient à capter les moments forts et tricher au montage afin de reconstruire une évolution subtile de la discussion. Et ce choix minutieux des dialogues se double d’une réalisation plutôt judicieuse.
Des cadres très resserrés, jamais complètement fixes, s’octroient un léger travelling, un petit zoom, bref, s’agitent très subtilement. Jamais la caméra ne réunit les quatre personnages dans un même cadre. Ce resserrement de l’espace n’entrave pourtant pas sa compréhension, bien que la présence de miroirs trouble parfois la différence entre image réelle et image virtuelle. Certains personnages sont vus en amorce, d’autres dans le reflet d’un miroir voisin, l’accent est mis sur le gros plan, le visage et l’isolement voire l'encadrement des personnages.
Mais cette fraction de l’espace laisse place en dernier lieu à une reconstitution pastiche de la Cène de De Vinci où les drag, réunis autour de la Maman (Mother’s), régissent en quelque sorte, l’ordre nouveau du monde. Pour le réalisateur, la « Cène » d’origine est la représentation du patriarcat. La critique est peut-être un peu sévère lorsqu’on sait ce que Jésus représente pour les croyants : autrefois ami des faibles, il serait aujourd’hui allié des minorités, noirs, trans, et irait dans le sens idéologique du réalisateur…
Mother’s tire aussi son originalité de par le renversement d’une logique traditionnelle de mise en scène. Le maquillage ou le masque (la perruque) a souvent pour motif le voile, pour objectif la dissimulation. Ici, le maquillage n’agit pas comme un camouflage. Mais plutôt, à l’image des miroirs omniprésents, un reflet de l’âme torturée des personnages. En effet, plus elles se maquillent, plus la féminité des drag queens prend forme au sens littéral, les discussions prennent une tournure plus grave, les cœurs s’ouvrent à la caméra et aux spectateurs et leurs larmes jaillissent sur la peau. Cette esthétique du gros plan et du miroir renvoie inéluctablement à l’âme profonde des drag queens, confrontés à un conflit interne refoulé par la société. On ressent une critique faîte aux conservateurs dont la mère de la Maman n’est perçue que comme le fruit d’une société trop bien organisée où chacun et chacune ont un rôle prédéfini à jouer. Aujourd’hui, n’importe qui a le droit de se définir comme il se sent, tout du moins serait-ce la thèse globale du film. Mais certains concepts sont éternels, comme celui de la mère. Toutes aiment leurs enfants, en sont fiers, et cette « nouvelle religion » dont parle Hippolyte Leibovici ne fait que poursuivre la filiation naturelle des êtres.
Finalement, le film jauge habilement son sujet, sans trop se noyer dans un aspect propagandiste, et nous donne envie d’apprécier l’esthétique de cet univers. L’échange de regards entre Kimi et Maman, même s’il manque un peu de force visuelle, symbolise ce que le film tend à mettre en place, une universalité de la cause au profit d’un problème purement minoritaire et marginal. En plus de son sujet d’actualité, Dolan serait très fier de l’ambiance boîte de nuit du cabaret, sa lumière dure, ses couleurs primaires, ses ralentis gracieux qui offrent autant de mysticisme à la scène que de beauté à un monde imaginaire espéré.
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le 2 déc. 2020
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