Mulan
4.4
Mulan

Film de Niki Caro (2020)

"Il n'y a pas de courage sans peur."

Face à l'invasion des Rourans, qui, avec l'aide d'une sorcière (Gong Li), pillent les villes et tuent les populations, l'empereur de Chine (Jet Li) publie un décret demandant à un homme de chaque famille de rejoindre l'armée impériale pour lutter contre l'envahisseur. Afin de ne pas laisser son père (Tzi Ma) mourir à la guerre, ancien combattant affaibli par l'âge et les combats, Mulan (Liu Yifei) décide de prendre sa place au combat et de se faire passer pour un homme afin de rejoindre l'armée impériale...


Soyons clairs : qu'elle soit inappropriée, choquante ou simplement bête, la décision des studios Disney de ne pas sortir Mulan appartient désormais au passé. Beaucoup de personnes ont analysé sous toutes les coutures, de manière plus ou moins intelligente, cette décision et les conséquences qu'elle pourra avoir. C'était intéressant, mais cela ne sert plus à rien de gloser indéfiniment dessus. On peut penser ce que l'on veut de cette décision, mais il faut à tout prix éviter l'écueil principal sur lequel les imbéciles prennent d'ores et déjà plaisir à s'échouer : ne jugeons pas Mulan par rapport au contexte de sa sortie.
Il est évident qu'il est parfaitement idiot de refuser de voir Mulan pour la seule raison que les studios Disney l'ont privé de sortie cinéma. Simplement, on assume cette fois sans aucun complexe les moyens détournés par lesquels on l'a regardé, puisqu'on ne fait que jouer le jeu dans lequel Disney vient de nous embarquer. Quant au boycott pour les propos tenus par Liu Yifei en faveur de la police de Hong Kong, un simple cerveau, même affaibli par une certaine carence de cellules grises, suffit à considérer l'imbécillité profonde d'une telle démarche.


Il convient donc de juger Mulan purement et simplement comme ce qu'il est : un film. Un pur objet de cinéma, ni plus, ni moins. Car c'est comme cela que la postérité le retiendra. Ainsi donc, la seule question valable tient en ces mots : que vaut Mulan en tant que film ?
Il y a eu de tout, dans les remakes que Disney a multiplié sur nos écrans ces dix dernières années : de la copie conforme (La Belle et la bête), des tentatives douteuses de renouvellement (Alice au pays des merveilles), d'honnêtes maladresses (Cendrillon), des copies intelligentes (Le Livre de la jungle), et des relectures réussies (Peter et Elliott le dragon).
Mulan se situe quelque part entre la copie intelligente et la relecture réussie. Indéniablement, si l'on s'appuie uniquement sur le scénario, le film de Niki Caro est très proche de son modèle animé. Mais ce n'est pas un mal, car le ton, lui, en est radicalement différent. Peu d'humour, pas de chansons (le film se rattrape pendant le générique de fin), un kitsch réduit à l'extrême minimum... Est-on vraiment dans du Disney ? Le seul indice qui nous permette de l'affirmer est l'absence quasi-totale de sang et de morts. Pour le reste, la réalisatrice a su marcher sur sa propre voie de manière en tous points exemplaire.


Sur le fond, Mulan pourra décevoir. Outre un féminisme plus appuyé que dans le dessin animé et d'une subtilité plus que discutable, les personnages ne sont pas assez creusés. Les relations entre eux sont souvent esquissées, et aucun ne bénéficiera d'un traitement de faveur. L'avantage, c'est que cela interdit toute complaisance dans le pathos, l'inconvénient, c'est qu'on pourra avoir un certain mal à ressentir toutes les implications humaines du récit. Notons, toutefois, que les acteurs, eux, n'ont aucun mal à donner de la consistance à leurs personnages, grâce au talent du casting entier, d'une sobriété toute asiatique.
En revanche, Mulan fait bien plaisir en véhiculant des valeurs universelles qui, pour n'avoir rien de polémique, ne font jamais de mal à rappeler dans un monde où tout part dans toutes les directions, mais jamais la bonne. Assumant pleinement l'aspect militaire de son sujet, Mulan réaffirme ainsi le sens de l'honneur, de la loyauté, du courage, de la sincérité (très beau dilemme de Mulan, un peu trop vite brossé) et de la dévotion à sa famille.
Dommage que les toutes dernières minutes du film ne viennent détruire la décision finale du l'héroïne face à l'empereur, qui venait de présenter au spectateur un magnifique exemple d'humilité et de résignation, en un dilemme très touchant. Revenir ainsi en arrière vient atténuer toute la portée du message et en plus, annule en grande partie la gravité qu'on croyait pouvoir ainsi trouver dans ce film.
C'est peut-être le principal défaut de Mulan, finalement. Tout mature qu'il soit (et il l'est), le film de Niki Caro manque tout de même un peu de noirceur. Quelques morts (là encore, un gag très dispensable à l'issue du combat final, nous fait croire qu'on va y avoir le droit, mais en fait, non), un peu plus de cruauté envers les personnages secondaires, quelques lignes de dialogues supplémentaires explicitant les dilemmes des héros n'auraient pas été de refus.
On a presque vergogne à écrire cela, alors même que Mulan semble pourtant faire de considérables efforts afin de nous montrer que l'étiquette Disney n'empêche pas à un blockbuster d'être un vrai film plein d'intelligence et de maturité. Mais malgré ces efforts plus que louables, on sent qu'il est encore loin, le temps de Pirates des Caraïbes...


Là où, en revanche, Mulan éblouit, c'est sur la forme. Cela faisait des années que l'on attendait que Disney sorte un film pareil ! Depuis l'échec de Lone Ranger, en effet, le studio semblait s'être rangé du côté des blockbusters tout en pixels et sans grande ampleur.
Ici, tout est grand. Evidemment, quand on se paye Grant Major, décorateur du Seigneur des anneaux, on a un atout non négligeable en poche. Et force est de reconnaître qu'il n'a clairement rien perdu de son savoir-faire. Dans les meilleurs moments du film, on pense en effet à Peter Jackson (même si on n'atteint jamais son niveau, bien entendu). Des décors titanesques aux costumes, d'une minutie étonnante, tout sonne juste. La plongée dans la Chine médiévale est totale, et nous garantit un voyage dans le temps d'une qualité dont on croyait Gore Verbinski l'exclusif détenteur.
La photographie de Mandy Walker se révèle exceptionnelle en tous points, et magnifie à merveille les décors et paysages grandioses pour renforcer toujours plus le ton épique inédit du film, au gré des notes de la somptueuse musique d'Harry Gregson-Williams, qui n'a rien perdu de son talent.
En fait, Mulan, c'est vraiment l'authentique retour au cinéma de Disney. A un certain cinéma, en tous cas, le meilleur, celui de Ben-Hur et du Seigneur des anneaux (même si, évidemment, Mulan ne leur arrive pas à la cheville). En-dehors de la scène de l'avalanche, il est littéralement impossible de dire ce qui existait matériellement sur les lieux du tournage et ce qui y a été ajouté par ordinateur, postérieurement. Ce cachet visuel unique fait indéniablement de Mulan un des plus beaux films jamais sortis de l'écurie Disney (et pourtant, il y en a eu, de beaux films Disney).
Des chevauchées dans la steppe eurasienne aux combats dans la cité interdite, tout impressionne, tout éblouit, tout émerveille. On est embarqué dans une immense attraction dont on n'a plus envie de sortir. La dernière réserve que l'on se permet d'émettre concerne finalement la présence du surnaturel : on comprend bien l'utilité narrative et la dimension métaphorique du chi, principe chinois qui a inspiré la Force de Star Wars (remettons les choses dans l'ordre), mais finalement, celui-ci tend à encombrer les scènes d'action en tirant ces dernières vers un irréalisme dont elles n'avaient pas besoin.
Préférer la voie du film de guerre classique, sans magie, aurait pu être un choix encore plus malin de la part des studios aux grandes oreilles, en assumant totalement la dimension humaine de son récit, sans y faire intervenir des forces qui dépassent leurs personnages (ou alors, en les intégrant mieux au récit, à la manière des tragédies antiques). L'impact humain et émotionnel en aurait sans douté été renforcé.


Quoiqu'il en soit, Mulan reste envers et contre tout, malgré de légers défauts, une expérience incontournable. En remettant ainsi les points sur les "i" du mot "blockbuster" (oui, je sais...), les studios Disney nous rappellent que Ridley Scott n'a pas le monopole de la reconstitution historique grandiose et puissante (relativement crédible, quand bien même elle n'a rien d'authentique).
Ainsi, plus que le premier pas de Disney vers une nouvelle forme de cinéma dénué de salles obscures, préférons voir en Mulan le témoin d'un retour au vrai cinéma, celui qui met ses artifices au service de son histoire et non l'inverse. Même si l'aspect humain du récit est parfois minimisé, la grandeur de cette fresque épique n'a pas fini de faire rêver des générations de spectateurs, pour lesquels Mulan ne sera pas soit un dessin animé, soit un film live, mais sera les deux à la fois.

Tonto
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le 5 sept. 2020

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