Lorsque j’ai découvert Mulholland Drive, j’avais 17 ans. M’étant plongé dans une insatiable quête d’émotions artistiques fortes (souvent propre à cet âge) à travers lesquelles exister, je cherchais dans les films - et dans l’art en général - des frissons, de la jouissance, de la mélancolie. Avec le recul, je vois maintenant cette recherche comme un besoin de pouvoir m’exprimer par procuration au travers de ces oeuvres. Quand je regarde Mulholland Drive à 17 ans, j’ai l’impression que le film à été fait pour moi. Qu’il répond à toutes mes attentes et mes désirs avec un supplément extra-sensation-fortes inclus dans le package. Je n’avais jamais rien vu ou ressenti de tel, j’étais sur le cul. C’est avec un sentiment plus ou moins équivalent que je parcouru aussitôt le reste de la filmographie de Lynch, mais ce premier essai personnel resta indétrônable. Encore à ce jour, rares sont les films ayant réussi à me combler à ce point émotionnellement parlant.
Pourquoi ? Pourquoi cette histoire, ces images, ces personnages ?
Le film est un plongeon vers l’inconscient. Lynch crée le contraste d’un univers où toutes choses semblent à la fois bien présentes et à portée de main alors qu’également indéniablement irréelles, oniriques et distantes. Une représentation des rêves et fantasmes les plus doux au côté des cauchemars les plus étranges. Ceux des protagonistes, et les nôtres. Car par quelque processus narratifs, Lynch choisit ici de brûler la barrière entre le vrai et le faux, le réel et le rêvé. Le spectateur se trouve dupé de la même manière que le personnage principal l’est lui-même, et éprouve dès lors la même frustration, le même dégoût, en plus d’une empathie profonde, lorsque le retour à la réalité opère. Ses rêves et espoirs étaient les nôtres, sa réalité le sera aussi.
La fameuse scène du club Silencio résume d’ailleurs à elle seule toute l’idée du film. « No hay banda. It is all an illusion. » Tout comme la non moins célèbre scène du « Diner », qui d’entrée de jeu nous met en garde, nous introduit à l’univers en nous avertissant qu’ici rien ne sera limpide. Une sorte d’allégorie du film tout entier. Tout est déjà là, sous nos yeux. Et pourtant, à la fin du premier visionnage, la plupart des gens - moi y compris - ressortent du film en ayant l’impression d’être passé à côté du scénario, de n’avoir rien compris. Là où certains pourraient trouver l’idée frustrante, je l’ai trouvé complètement exaltante. Elle a évoqué chez moi un sentiment similaire à celui d’un réveil après une longue nuit de rêves. Un sentiment d’avoir été déstabilisé, dépassé par quelque chose de trop grand, trop insaisissable.
Et c’est là que réside pour moi la force et la magie de Mulholland Drive. Nul besoin de comprendre, il suffit de se laisser happer et emporter par le film. D’abandonner tout point de vue logique. De s’immiscer dans son esthétisme, ses bruits, ses personnages. Une bonne partie du travail étant d’ailleurs déjà faite à notre place, grâce aux choix de réalisation : la caméra flottante, le design sonore mystérieux, le jeu d’acteur irréel, l’étalonnage très lumineux,… Et même si une rationalisation du scénario est possible et même intéressante lors du deuxième visionnage, je pense sincèrement que cela ne soit pas l’effet souhaité par Lynch. Il nous veut déboussolés, désemparés, exaltés exactement comme dans nos propres rêves.
Vous l’aurez compris : Mulholland Drive est une immersion dans le monde des songes. Cette même idée parsème d’ailleurs l’œuvre de Lynch de manière assez constante - pas étonnant d’entendre l’homme expliquer dans plusieurs interviews qu’il tire sa créativité de rêves ou de séances de méditation transcendantale depuis de nombreuses années -, mais elle atteint ici son paroxysme au cœur d’une expérience fascinante et envoûtante.
Quand je regarde pour la première fois Mulholland Drive à 17 ans, je ne m’attend pas à éprouver une émotion artistique si intense. Une émotion qui surpasse mes espérances, belle à pleurer. Une que l’on ressent 5-6 fois dans une vie. Quelle ne fut pas ma surprise.