Dans une scène aux environs des deux tiers du film, peu avant la fin du rêve, Diane et Camilla assistent à un spectacle dans une espèce de cabaret pour hipsters miteux. Elles assistent à une performance musicale, où une chanteuse les émeut jusqu'aux larmes par sa voix puissante et désespérée. Puis la chanteuse s'évanouit, alors que la musique continue. Ce n'était qu'un enregistrement. Nos deux protagonistes se reprennent, agacées, presque gênées de s'être laissées attendrir par quelque chose d'artificiel. En étant révélé fausse, l'oeuvre a perdu toute sa valeur à leurs yeux, et pourtant son effet était réel.
La vie de Diane est horriblement vide. Actrice ratée, fauchée, sans amis, abandonnée par son amante qui prend plaisir à la tourmenter, elle finit par craquer après un moment romantique transformé en humiliation, et commet un crime. Pour échapper à son malheur, elle s'imagine une autre vie, un nouveau départ, une nouvelle personnalité (fantastique travail d'actrice par Naomi Watts), où, véritablement talentueuse, elle débarque dans un Hollywood tel que fantasmé dans son âge d'or, et où son amante est innocente et a besoin d'elle. Mais dans l'ombre, d'obscures forces mafieuses, représentant ses lacunes et sa malchance, s'acharnent à menacer sa carrière et son amour.
Dans une scène du début du film, un homme explique à son ami que dans ses rêves, un être monstrueux l'attend au coin d'un fast-food pour le tuer. Après vérification, il s'effondre, foudroyé. Son rêve a détruit sa réalité.
Mulholland Drive est souvent réduit à son côté étrange, résumé à une succession de scènes oniriques et sans liens entre elles. Si il est dur d'établir tout ce que David Lynch a voulu dire -parce que... David Lynch- le propos général est assez simple. Il s'agit de la relation entre le fantasme et la vie réelle, de l'impact que l'un peut avoir sur l'autre, et de leur attrait respectif. Le monde de romance, de cabales et de lumière du délire de Diane est directement basé sur les éléments qui ont conduit à sa douleur dans le monde réel, et ses rêves de succès l'ont mené à sa situation présente.
C'est un film beau et triste, où il n'est pas sûr que la faculté de l'humain à échapper au vrai monde dans ses songes soit une grâce, ou la plus cruelle des moqueries.