Sombre, nébuleux, Mulholland Drive navigue en eaux troubles dans une mélopée cynique entre rêve et réalité, crimes passionnels et rédemption qui s'étiole vers le firmament pour dépeindre un monde hollywoodien aux multiples visages ; presque monstrueux de cruauté où les sourires disparaissent pour engendrer des larmes de désespoir. Alors que Lost Highway maniait sans vergogne sa dualité labyrinthique en changeant de personnages en cours de route, Mulholland Drive se veut plus accessible et plus ludique malgré les similitudes d'écriture entre les deux films. Dans sa narration, Lynch fluidifie son architecture tout en acceptant l'évaporation de son cinéma, avec des moments de pure grâce lors de cette scène du Silencio, qui effleure la totalité même du cinéma de son protagoniste.
J'étais bien pendant un temps réapprenant à sourire puis une nuit je te vis, tes mains me touchèrent et ta voix me salua
tu me parles très bien sans savoir que je suis en larmes pour ton amour, pleurant
pour ton amour. très bien sans savoir que je suis en larmes pour ton amour, pleurant,
pour ton amour. Après tes adieux, la douleur m'a envahi je suis là en
larmes pleurant, pleurant, pleurant ce n'est pas facile de comprendre qu'encore une autre fois je serai toujours en larmes
Moi qui pensais que je t'oublierai mais c'est vrai, c'est la vérité
je t'aime encore plus, encore plus qu'hier. Dis moi toi ce que je peux faire,
ne m'aimes pas maintenant et je serai encore en train de pleurer pour ton amour en train de pleurer pour ton amour ton amour remplit tout mon coeur et je reste en train de pleurer pleurant, pleurant, pleurant pour ton amour
Tout n’est qu’illusion dans cet univers protéiforme, où le monde du rêve côtoie et se mélange avec celui du cinéma. Le cinéma n'est qu'un pur fantasme, les acteurs se cachent derrière des noms de scènes, faisant s'effriter le verni de leurs personnalités et de leurs troubles identitaires. De ce fait, le réalisateur utilise le rêve, non comme simple effet d'écriture, mais comme ode rédemptrice, où nos erreurs passées peuvent s'évaporer dans un monde imaginaire presque idyllique, dans des contrées qui malheureusement ont une fin et où la dure réalité reprend son droit chemin.
Une jeune femme, le sourire aux lèvres, veut grimper les étapes qui feront d'elle une star. Hollywood, Los Angeles, les paillettes, la reconnaissance, c'est le graal. Mais elle va vite déchanter, elle se consumera jusqu'à en perdre raison. Betty, jeune femme un peu naïve avec des étoiles plein les yeux arrive dans la cité des anges pour faire une carrière dans le cinéma. Habitant chez sa tante, elle fait la rencontre d’une femme amnésique venant d’être victime d'un accident de voiture. Elle se fait appeler Rita.
Petit à petit les deux femmes vont essayer de découvrir le passé de Rita. Cette rencontre n’est qu’une mise en abîme de toutes les obsessions de son réalisateur. S'ensuit alors amour, jalousie, détresse. C'est la simple chronique d'une femme, bouleversée, à l'avenir assombri, au rêve perdu, méprisée par une indifférence destructrice. Mulholland Drive est d’une force charnelle et sensuelle saisissante où Lynch filme des scènes dénudées d’une rare intensité.
Le réalisateur rend grâce à la beauté de ses deux actrices à la justesse de composition exceptionnelle. David Lynch ne s'arrête pas, ne vulgarise pas une simple étude de caractère, mais nous décrit Hollywood, sa férocité, sa fulgurance, comme il ne l’est montré que très rarement. Loin de l'idéal de l'imaginaire collectif, Los Angeles avec ses collines mystérieuses est vu comme un monde angoissé et corrompu, enfermé dans sa grandeur étroite et dévalorisante.
Le monde du cinéma est trop limité, son exploitation, ne permet pas aux créations de pouvoirs s’exprimer, les hommes ont les mains liées comme le réalisateur Adam Kesher complètement impuissant à qui on impose une actrice. David Lynch adoube le cinéma mais voit dans son art, un monde trop édulcoré pour lui et ses thématiques. David Lynch se détourne de toutes connivences. Impressionnant par la justesse de son histoire et par sa vision d’un Hollywood créateur de malheur et d’anges déchus, c’est surtout l’objet visuel et sonore qui force l’admiration. Bande son bourdonnante et céleste, mise en scène légère comme l’air, Mulholland Drive joue les équilibristes entre chaud et froid, entre contemplatif et horrifique.
L'une des séquences qui se déroule dans un restaurant au coin d'une rue, est symptomatique de tout ce qu’est David Lynch : dialogue d’une bizarrerie intrigante, mise en scène nous enfonçant dans une noirceur incandescente pour se finir avec cette pointe horrifique déstabilisante.