Ha, ce film m'a rappelé un remplacement que j'ai effectué l'année passée dans une école spécialisée. J'avais déjà postulé plusieurs fois dans ce type d'établissement car on m'avait dit qu'on y trouvait plus facilement de la place. Ce n'est pas tellement vrai... J'aurai tout de même décroché ce poste de 2 semaines. Initialement, il était prévu que ça dure 3 semaines, mais la prof s'est senti mieux avant la fin de son certificat médical et a donc décidé de revenir, me condamnant à retourner dans les méandres du chômage. Je m'en souviens bien car ce jour-là j'étais tellement perturbé en apprenant qu'il s'agissait de mon dernier jour que j'ai embouti une voiture... Bon, faut dire que je matais une belle ronde sur le trottoir à gauche, j'ai vu du coin de l'oeil le feu passer au vert, j'ai démarré sans réfléchir et BANG, le choc, la voiture avant qui s'avance d'un bond, la mienne qui s'arrête d'un coup, on redémarre nos véhicules, on se range sur le bas côté après le carrefour, c'est une femme qui sort, elle s'excuse, croyant qu'elle était en tort, je lui explique que c'est moi le responsable qu'elle 'na absolument rien fait de mal, elle est inquiète pour son fils qui était à l'arrière de la voiture mais me rassure : il a eu plus de peur que de mal. Soit... tout ça pour dire que j'ai donné cours à des élèves du spécialisé. Le spécialisé c'est chouette dans le sens où il n'y a pas plus de 10 élèves par classe. Bon j'ai eu une exception, une classe de petits, ils étaient 12. C'était un peu chiant à gérer, j'avais un colérique et un trouillard qui entraient constamment en conflit. J'ai eu deux classes avec des enfants un peu plus âgés, pas très nombreux, qui ne m'aimaient pas pour la plupart et me le faisaient bien comprendre (on m'a averti que ces élèves n'aiment pas le changement, alors forcément chaque fois qu'il y a un remplaçant, ça coince toujours un peu). J'ai eu une des pires classes : ils ne sont que 5 mais sont tous des colériques. Je me souviens, un jour, ils n'étaient que 4, ils bossaient sur un dessin, puis l'un a fait une réflexion, l'autre a préféré ne rien répondre mais a commis l'erreur de se lever pour s'isoler un peu. Au moment où il est passé, l'agresseur s'est levé, l'a provoqué davantage avant de lui donner un premier coup ; l'agressé se met à crier, fuit, ouvre la porte et là je constate que les collègues étaient là, à attendre, déjà prêts à intervenir, à me donner un coup de main. Et heureusement, car l'agresseur était parti pour défoncer sa victime : on l'a calmé tandis que l'agressé a pu aller dans la cour de récréation pour reprendre ses esprits. Le cours a repris sans ce dernier, comme si de rien n'était. Mais la classe la plus surprenante, pour moi, ça a été celle composée uniquement d'autistes. Première fois que j'entre en contact avec des gens souffrant de cette maladie. On m'avait prévenu que c'était étrange, on me les avait même présenté le jour où j'ai signé le contrat. Mais il y a une différence entre saluer dans un réfectoire une dizaine d'élèves (on m'avait même signalé le tempérament de chacun, évidemment le genre de truc impossible à retenir vu toutes les info qu'on bombarde à chaque nouvel arrivant, on m'avait notamment dit que l'un d'entre eux est en pleine phase de puberté ce qui signifie qu'il peut commencer à se toucher à n'importe quel moment de la journée) et se retrouver seul face à eux et tenter de donner une leçon. Ils comprennent ce qu'on leur dit, c'est déjà ça, je leur présente donc l'énoncé. Je les aide dans la réalisation de leur projet. Certains sont très calmes, d'autres plus agressifs. Je retrouve vite fait celui qui est en pleine phase de liberté : il se tripotait dans un fauteuil. Heureusement il se rhabille dès qu'on le lui demande. Ensuite, je me souviens d'un autre dont on m'a dit : évite de le regarder dans les yeux ça le met en colère. Puis une autre très peureuse qui fait beaucoup de pose pour aller faire un câlin à un nounours (au début, je pense qu'elle était sincère, mais sur la fin, je crois bien qu'elle profitait de mon indulgence). Y a une fille, on m'a prévenu qu'il ne fallait jamais la laisser aller aux toilettes seule car elle aime recouvrir les murs de caca ; je ne savais plus qui c'était et je dois dire que j'avais même oublié cet avertissement, j'ai donc laissé la demoiselle en question y aller... heureusement elle n'avait rien fait... seulement elle est restée cachée dans les toilettes si longtemps que j'ai demandé à une collègue de m'aider à la retrouver (et là on m'a rappelé sa passion scatologique) Puis il y en avait un qui me faisait marrer. Il aimait bien répéter ce qu'on lui avait appris et visiblement un prof aimait à leur dire ce qui est bien et ce qui est mal. Mais le plus rigolo, c'était l'intonation que je ne pourrai hélas reproduire ici. Ça donnait donc quelque chose comme ça : "des flèches? des flèches? Dans la cible ! Bien! Bien ! Dans le mur ? Pas bien dans le mur, pas bien dans le mur." Et il pouvait continuer comme ça sans arrêt. Il y en a un autre qui peut devenir incontrôlable s'il est trop content, il vaut donc mieux éviter de trop le féliciter. Je me souviens aussi dans une autre classe, une élèves est venue me dire que je n'étais vraiment pas beau. J'ai dit 'merci' et là elle a cru bon d'insister comme dans l'espoir de m'ouvrir les yeux. J'ai quelques autres souvenirs mais je ne peux pas tout raconter, c'est déjà bien assez long et trop peu ordonné. En tous cas c'était une sacrée expérience. La directrice m'a demandé si ce remplacement m'avait dégoûté de ce type d'enseignement, j'ai dit que c'était trop court pour savoir ; elle m'a répondu qu'en général, ceux qui n'aiment pas le savent très vite. Elle a même déjà eu des gens qui ne sont pas venus le deuxième jour sans même prévenir qui que ce soit. Donc elle pense que je pourrais continuer dans le spécialisé. J'ai postulé dans des écoles spécialisées en début d'année, dont la sienne, mais aucune réponse positive. Ha, un autre avantage, pour reprendre ce que j'ai commencé en début de ce paragraphe, c'est qu'il n'y a pas de programme à suivre, on est nettement plus libre. Pas de points non plus à mettre. Et compris dans l'horaire, deux heures de conseil de classe chaque semaine. Ce qui veut dire que c'est directement compris dans les heures de cours et non des heures en plus !
Bon, il est temps de critiquer le film. C'est sympa. Sans plus. Disons qu'il manque une narration. Wiseman se contente (avec intelligence tout de même), de filmer le déroulement des cours, de montrer ce que fait le prof, ce que font les élèves, des tâches simples et répétitives mais qui passionnent justement parce qu'elles sont anodines. Il n'y a pas de pathos, pas de complaisance, pas de condescendance. On filme simplement les gens. Pas de discours non plus : en un sens c'est bien, ça évite les grosses maladresses mais en même temps on remarque assez vite qu'il ne se passe pas grand chose : Wiseman aurait pu se contenter de monter la moitié de son film, le résultat aurait été le même.
La mise en scène est réussie. La caméra suit au plus près ces gens, de manière pas toujours discrète sans que ça ne dérange personne d'ailleurs, ce qui laisse supposer que le tournage a duré longtemps. Les intervenants sont bien trouvés : soit les handicapés sont bons à l'image, idéaux pour refléter leur condition, soit les profs s'expriment bien, expliquent bien ce qu'ils veulent faire. C'est amusant aussi de les voir gérer plusieurs enfants en même temps tout en gardant leur sang-froid. Il y a un côté hypnotique à tout ça, c'est assez bizarre. On se prend au jeu d eles regarder touèt du long sans trop s'ennuyer et ce malgré une narration quasi vide. C'est bizarre !
Bref, ce docu est sympa à suivre mais aurait pu être plus creusé (par exemple approfondir ne fut-ce que le point de vue des enseignants non pas pour les faire s'exprimer sur leurs sentiments mais bien pour détailler leur routine, mieux expliquer ce qu'ils doivent faire au jour le jour). Ce qui m'a déçu aussi, c'est de ne voir aucun conflit, pourtant c'est clairement le genre d'institut où les élèves doivent se disputer violemment au moins une fois par semaine. Mais bon, c'est sympa quand même.