Ce film de monstres qui n’est pas sans rappeler le classique Freaks de Tod Browning (1932) met en scène la figure queer et drag certainement la plus scandaleuse de son époque aux USA : Divine. Tout ou presque y est dégoûtant, vulgaire et repoussant à première vue : comme tout ce que l’on pourrait attendre des monstres, des personnes « différentes » que Waters convoque dans sa ville natale de Baltimore, où se déroulent la plupart de ses créations. La question du sexe, des comportements déviants et des rapports sexuels illégaux à divers égards est centrale dans ce projet. Ce qu'il y a d'abord de marquant est l’économie de moyens, autant que la créativité extraordinaire déployée dans ce film à petit budget, 5000$ à l’époque. C’est une fête sordide et enragée qui commence dans une piteuse tente blanche où se présente la Cavalcade of Perversion de Lady Divine, un spectacle qui fait référence aux freak shows — les fameux « monstres humains » aux particularités hors normes. Tout au long du film, un petit groupe de personnages miséreux et enflammés démontre un appétit extrême pour la violence, la luxure : iels débrident le langage, le corps, l’esprit, et ce au-delà des limites de ce qui est accepté et acceptable. L’heure et demie passée à les regarder nuire aux mœurs et aux normes de la société par leurs comportements — que des spécialistes de la (bonne) santé pathologiseraient et diaboliseraient sans nul doute — nous a plongé dans l’utopie du devenir mutant. Comme pour les mutant·e·s dans les bandes-dessinées ou dans la saga de films X-men, les protagonistes nous font comprendre le rejet qu’iels subissent et qu’iels opèrent, dans des sociétés qui ne tolèrent pas même leur simple existence. Des actes inavouables s’accomplissent gratuitement, sans se donner la peine de se justifier de leur perversion, comme à la fois pour critiquer l’absurdité des lois étatiques, autant que pour célébrer les fétichismes les plus minoritaires : reniflage d’aisselles, léchage de selle de vélo, sans-abri en manque de drogue, des « pédés » qui s’embrassent, une personne qui mange du vomi, soumission et domination, menaces armées, viols, lutte contre la police, insultes, sodomie dans une église. Quittes à embrasser la saleté, l’escroquerie, la honte face au monde et les violations des lois les plus naturelles à l’Homme (dans ce contexte précis, au sein de la société américaine croyante en Dieu, patriarcale et ultramatérialiste) : les protagonistes, tout comme les personnes queer (non hétéronormatives) et crip (non valides, handicapées), vivent leurs émotions et leurs corps à travers des actes anormaux. L’anormalité est bien sûr une question de point de vue, mais elle est aussi une question de pouvoir, détenu et administré, qui classifie et conformise les gens selon leurs attributs. Tout doit être lisse, tout doit être uniforme ; ce film renverse cette vision simpliste et ordonnée du monde en perturbant le calme plat, par des offenses hilares et des profanations (G. Agamben) répétées.