Elle n'invite pas, n'invoque, ne ment, ne punit, ne prédit, n'exhale pas... mais se cache

Jaume Balagueró ("La secte sans nom", "Fragile") fait partie de cette nouvelle vague ibérique qui a fait les belles heures du film horrifique à la fin des années 90 mais surtout sur la décennie 2000. A l'instar d'un Alex de la Iglesia qui avait ouvert la marche ("Action mutante", "Le jour de la bête"), Alejandro Amenábar ("ouvre les yeux", "The others"), Paco Plaza ("Les enfants d'Abraham", "R.E.C"), Nacho Cerda ("Aftermath", "Abandonnée"), Guillermo Del Toro ("L'échine du diable"), Juan Antonio Bayona ("L'orphelinat") tous ont réussi en quelques films à remettre en scène, voire renouveler, un genre beaucoup trop galvaudé et qui avait fini par s'essouffler. Chacun prenant, après cette période de grâce une route différente, celle beaucoup plus confortable des studios hollywoodiens avec plus ou moins, surtout moins, de bonheur.


Après le très bon thriller "Malveillance" et l'inutile et laborieux "R.E.C apocalypse", "Muse" semblait être symbole de retour aux sources pour le réalisateur voguant sur un sujet trouble entre ressac ésotérique et ondulations de raison. Le script, adaptation de "La dame N°13" de José Carlos Somoza, semble familier et adapté à son univers. Samuel, universitaire, est un homme traumatisé. Il s'embarque, bien malgré lui, dans une sombre histoire sur les traces de sa compagne disparue dramatiquement. Nous sommes assez proche d'un début à "La secte sans nom" d'autant qu'il va s'adjoindre dans "sa mission" une complice qui partage les mêmes rêves de meurtres rituels que lui, tous décident d'en savoir plus. Une enquête en binôme que l'on retrouvait également dans "Fragile".


La griffe de l'auteur est ici techniquement reconnaissable (montage serré et vif, atmosphère picturale éteinte et délavée, jeux sur les champs ou les cadres...) et prouve que son potentiel de prodige de l'horreur espagnole est intact. Balaguero sait créer une ambiance glauque sans profusion d'effets (adieu les tics de plans vidéos épileptiques à la "Darkness", les jump scare...). Il n'oublie pas non plus son côté facétieux de jouer avec les nerfs du spectateur, détournant son attention par un jeu de pistes et des rebondissements.


Jusque là, on se dit ok il a aimé, c'est un fan ! Hélas non car le film ne tient jamais ses promesses et beaucoup plus inquiétant en oublie son sujet. Car de quoi s'agit-il réellement ? Le roman évoque 13 muses entités possédantes ayant chacune une fonction malfaisantes. Leur caractéristique est de s'exprimer en termes poétiques citant les grands auteurs, vers qui seront gravés sur la peau de leur victime lors de persécutions diverses. Sans doute par souci de concision, le nombre a été ici réduit à 7. Et si l'une ou l'autre s'exprime de cette manière, cela n'a rien de cohérent puisque très peu développé et évoqué, réduisant l'artifice à l'anecdotique. Là où Balaguero détenait une matière extraordinaire pour concevoir un film baroque (dans une ambiance à la "Gothic" de Ken Russell ou au référentiel d'un Edgar Allan Poe) où le pouvoir des mots, de la poésie sont autant armes de séduction que de destruction, il se borne à son fond de commerce, qui devient aussi un vrai carcan artistique. On y retrouve un héros en perte d'identité, un deuil éprouvant, une entité maléfique, un lieux abandonné, arguments pour un combat entre le mal et le bien.


Rien de novateur qu'il n'est déjà exploité dans ses films précédents, de "La secte sans nom" à R.E.C, la subtilité en moins. Car jusque là, les sources du mal mises en avant n'apparaissaient en réel que sur la fin du film, ici les muses, qui n'ont rien absolument rien d'effrayant arrivent assez vite dans l'histoire. Balaguero ne s'encombre pas de suspens. Hors on le sait depuis "La maison du diable" de Robert Wise, que la peur ésotérique est probante si dans un premier temps elle est source de manifestations non d'apparition (perle du genre également ("L'enfant du diable" de Peter Medak), ou alors apparaissant à la fin . Effet que l'on retrouve dans "Fragile" ou dans cette immense scène culte du 1,2,3 soleil de "L'orphelinat". Ici les muses vont et viennent et parlent (trop).


Autre élément négatif, le rythme poussif. Pourtant, dès les premières minutes entre le décès de sa compagne, les cauchemars, la visite de la maison, la tension est extrême et profondément malsaine (même sentiment éprouvé sur "Malveillance" ou encore "A louer"). Dès la rencontre avec Rachel le film s'enlise, ce personnage prenant trop de place au détriment de l'intrigue qui s'installait. Si dans le film elle tient comme dans le roman un rôle clé, nul n'était besoin d'être aussi explicite sur sa situation et la relation trouble qu'elle entretiendra avec Samuel. De fait il faudra une bonne heure pour que l'action reprenne vraiment. Et ce n'est pas ce casting très éclectique qui vient atténuer l'ennui. L'articulation entre les personnages est disparate à l'image de l'interprétation de chacun, tous ne semblent pas jouer sur les même tonalités de l'histoire. On ne peut que s'interroger également quant à la présence de Christopher Lloyd dans trois petites scènes sans relief.


L'adaptation du roman s'est sans doute révélée plus complexe qu'il n'y paraissait. Le film dure tout de même 1h47 mais laisse un goût d'inachevé notamment au regard de cette fin par trop précipitée et bâclée.


Le message de "Muse" est tout aussi abscons ! A l'évocation de Christine de Pizan, première écrivaine et philosophe de renom au XVème siècle mais aussi pionnière du féminisme, on pouvait imaginer une fable sur le rôle historique de la femme dans la société. Il n'en est rien, la piste n'a pas été suivie. Comme déjà évoqué le pouvoir que représente les mots n'a pas plus été exploité. Au final, il ne reste donc qu'un film de genre primaire, supérieur à bien des productions du genre, mais loin très loin de ce que Balaguero a réussi avec "Fragile", "La secte sans nom" et même "R.E.C" et de ne plus m'étonner qu'il ne soit pas sorti en salle mais direct sur le réseau parallèle VOD/Streaming.


A l'image d'Amenabar avec son exécrable "Regression", de la Iglesia et son "Messi" ou d'un Nacho Cerda ne tournant que des séries, cette vague de réalisateurs si créatifs semblent bel et bien en panne...

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le 3 mai 2018

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Fritz Langueur

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