Gare au loup qui apprend à bêler

Costa-Gavras habite chaque parcelle de Music Box, une éprouvante leçon d’histoire qui cristallise l’essence de son cinéma. On y retrouve notamment la froideur clinique qui a fait le succès de sa trilogie politique ainsi que sa farouche opposition à céder aux sirènes du spectaculaire. Aucun violon ne trouve sa place dans la bande son de Music Box, pas plus que des effusions lacrymales ne viennent résoudre les sentiments qui s’y confrontent. Les hommes y sont représentés tels qu’ils sont : tour à tour compatissants, couards, barbares, impardonnables, insaisissables.


Un parti pris dangereux qui nécessite un final à la hauteur. Pendant plus d’une heure, Music Box relate les faits, sans les transcender, avec la précision chirurgicale d’un universitaire qui donnerait une conférence. Le doute ne plane pas vraiment quant à la culpabilité du salaud assis sur le banc des accusés, le procès qui monopolise l’attention pendant les trois quarts du film est une succession de témoignages glaçants qui ne font que paver un chemin tristement connu vers le terme du vrai combat qui se joue à l’écran.


Celui d’un être dont les repères sont soudainement remis en question. Celui d’une fille aimante qui se rend compte que l’homme qu’elle vénère est capable du pire. Que le patriarche qui porte fièrement ce titre ne peut se résoudre à assumer les actes terribles qu’il a commis. Quand Music Box quitte les Etats Unis pour une visite guidée dans les rues de Budapest, sa construction dramatique exigeante porte ses fruits. Un portrait en noir et blanc innocemment pendu au mur d’un appartement miteux achève les derniers espoirs d’un cœur jusque là préservé par les illusions d’une conscience consentant au déni.


Mais c’est bel et bien sur le sol de sieur Donald, lorsqu’une boîte à musique accompagne de son refrain mortuaire le dernier acte, que le mouton voit son masque s’orner d’une fissure incriminante, irréversible.
Un final à la hauteur, qui justifie pleinement le choix narratif presque pantouflard qui porte Music Box. Un dénouement porté par les traits fermés de Armin Mueller-Stahl qui livre une partition marquante dans un rôle difficile, la justesse de Jessica Lange, meurtrie mais digne, ainsi qu’une mise en scène discrète qui sait faire parler les hommes même quand ils persistent à se terrer dans le silence.

oso
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste L'ours, Homo Video, en 2017

Créée

le 5 juin 2017

Critique lue 945 fois

11 j'aime

oso

Écrit par

Critique lue 945 fois

11

D'autres avis sur Music Box

Music Box
JasonMoraw
8

Le loup déguisé en agneau ?

Michael Laslo a fui la Hongrie à la fin de la Seconde Guerre Mondiale pour se réfugier aux États-Unis. Plusieurs années s’écoulent, mais le vieil homme est suspecté par les bureaux d’enquêtes...

le 21 sept. 2020

18 j'aime

6

Music Box
JeanG55
8

Les fantômes du passé

Dans les années 1990, un hongrois réfugié aux USA se voit accusé de crimes de guerre qu'il aurait commis en Hongrie plus de quarante-cinq ans plus tôt. Alors qu'il est désormais un grand-père...

le 2 avr. 2022

12 j'aime

2

Music Box
oso
8

Gare au loup qui apprend à bêler

Costa-Gavras habite chaque parcelle de Music Box, une éprouvante leçon d’histoire qui cristallise l’essence de son cinéma. On y retrouve notamment la froideur clinique qui a fait le succès de sa...

Par

le 5 juin 2017

11 j'aime

Du même critique

La Mule
oso
5

Le prix du temps

J’avais pourtant envie de la caresser dans le sens du poil cette mule prometteuse, dernier destrier en date du blondinet virtuose de la gâchette qui a su, au fil de sa carrière, prouver qu’il était...

Par

le 26 janv. 2019

83 j'aime

4

Under the Skin
oso
5

RENDEZ-MOI NATASHA !

Tour à tour hypnotique et laborieux, Under the skin est un film qui exige de son spectateur un abandon total, un laisser-aller à l’expérience qui implique de ne pas perdre son temps à chercher...

Par

le 7 déc. 2014

74 j'aime

17

Dersou Ouzala
oso
9

Un coeur de tigre pour une âme vagabonde

Exploiter l’adversité que réserve dame nature aux intrépides aventuriers pensant amadouer le sol de contrées qui leur sont inhospitalières, pour construire l’attachement réciproque qui se construit...

Par

le 14 déc. 2014

58 j'aime

8