Costa-Gavras habite chaque parcelle de Music Box, une éprouvante leçon d’histoire qui cristallise l’essence de son cinéma. On y retrouve notamment la froideur clinique qui a fait le succès de sa trilogie politique ainsi que sa farouche opposition à céder aux sirènes du spectaculaire. Aucun violon ne trouve sa place dans la bande son de Music Box, pas plus que des effusions lacrymales ne viennent résoudre les sentiments qui s’y confrontent. Les hommes y sont représentés tels qu’ils sont : tour à tour compatissants, couards, barbares, impardonnables, insaisissables.
Un parti pris dangereux qui nécessite un final à la hauteur. Pendant plus d’une heure, Music Box relate les faits, sans les transcender, avec la précision chirurgicale d’un universitaire qui donnerait une conférence. Le doute ne plane pas vraiment quant à la culpabilité du salaud assis sur le banc des accusés, le procès qui monopolise l’attention pendant les trois quarts du film est une succession de témoignages glaçants qui ne font que paver un chemin tristement connu vers le terme du vrai combat qui se joue à l’écran.
Celui d’un être dont les repères sont soudainement remis en question. Celui d’une fille aimante qui se rend compte que l’homme qu’elle vénère est capable du pire. Que le patriarche qui porte fièrement ce titre ne peut se résoudre à assumer les actes terribles qu’il a commis. Quand Music Box quitte les Etats Unis pour une visite guidée dans les rues de Budapest, sa construction dramatique exigeante porte ses fruits. Un portrait en noir et blanc innocemment pendu au mur d’un appartement miteux achève les derniers espoirs d’un cœur jusque là préservé par les illusions d’une conscience consentant au déni.
Mais c’est bel et bien sur le sol de sieur Donald, lorsqu’une boîte à musique accompagne de son refrain mortuaire le dernier acte, que le mouton voit son masque s’orner d’une fissure incriminante, irréversible.
Un final à la hauteur, qui justifie pleinement le choix narratif presque pantouflard qui porte Music Box. Un dénouement porté par les traits fermés de Armin Mueller-Stahl qui livre une partition marquante dans un rôle difficile, la justesse de Jessica Lange, meurtrie mais digne, ainsi qu’une mise en scène discrète qui sait faire parler les hommes même quand ils persistent à se terrer dans le silence.